Un réquisitoire pour l'indépendance du pouvoir judiciaire et les droits de l'homme a été dressé ce jeudi par les invités à la journée organisée par le groupe parlementaire du Front des forces socialistes (FFS). Des cadres du parti, des militants des droits de l'homme, des militants associatifs, des syndicalistes, des experts ont animé ce débat. Tous ont rappelé que l'Algérie a ratifié toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'homme, mais beaucoup de dispositions ne sont pas appliquées. Les participants ont reproché aux juges leur parti pris pour le pouvoir comme ils ont décrié le rôle et la composante du Conseil supérieur de la magistrature. Les militants des droits de l'homme désespèrent de voir un jour la justice algérienne indépendante. Mme Aberkane Farida, avocate et ancienne présidente du Conseil d'Etat, est revenue, dans sa plaidoirie autour du rôle du pouvoir judiciaire dans la protection des droits de l'homme dans le système politique algérien, sur la situation du juge du tribunal administratif. Elle a mis en cause certaines dispositions contenues dans les lois sur les associations et les libertés publiques en général. Pour elle, ces lois contiennent des «vices» qui empêchent la protection des citoyens. Mme Aberkane a plaidé pour la nécessité d'introduire des changements dans les statuts et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : «Il doit être composé dans sa majorité de magistrat élus par leur pair, malheureusement ce n'est pas le cas et ceci est une aberration.» Elle a mis également l'accent sur la révision du principe de l'inamovibilité du magistrat (définie après 10 ans d'exercice) et sur la réflexion sur les délais de renouvellement des membres du bureau permanent. Plus explicite, Abdelmadjid Benchikh, professeur de droit à l'université Cergy-Pontoise, s'est dit convaincu que la justice n'est pas seulement une institution technique mais un marqueur fort de la nature du système politique. De son avis, et ceci n'est pas propre au système politique algérien, le législateur engage une série de lois à travers lesquelles il tente de réduire les espoirs suscités par la Constitution en matière d'indépendance de la justice. La composante du CSM décriée M. Benchikh emboîte le pas à Mme Aberkane et qualifie de «fondamentale» la question relative à la composante du CSM. Cette institution, selon l'orateur, est l'organe essentiel sans lequel on ne peut pas engager un processus d'indépendance de la justice et la protection du juge : «On doit assurer au juge d'un côté une réelle inamovibilité et un pouvoir pour qu'il puisse rendre justice en son âme et conscience en se basant uniquement sur les textes de loi.» M. Benchikh affirme que pour atteindre cette vision, il faut mettre en place une série de mesures visant à protéger les juges. Malheureusement, déplore-t-il, la loi organique élaborée en 2004 enclenche un processus de réduction de cette protection ; il illustre ses propos par la composante du CSM : «Les juges proches du pouvoir, c'est-à-dire ceux du parquet, sont majoritaires, ajoutés à ceux-là les six désignés par le chef de l'Etat. Qui donc osera aller à l'encontre des décisions du chef de l'Etat ? Cette composition dénature toutes visions de construction d'une indépendance de la justice.» L'orateur expliquant qu'il n'est même pas bon, du point de vue honorifique, que l'on attribue au chef de l'Etat la présidence du CSM. M. Benchikh estime que normalement, le détenteur du pouvoir est redevable devant la justice, mais en Algérie nous sommes très loin de cette logique et, dans ce contexte, on ne peut engager des réformes. Pour sa part, maître Bouchachi, député et ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, a affiché un pessimisme quant à voir un jour notre justice indépendante. Me Bouchachi n'a pas seulement mis en cause le fait que le CSM est présidé par le chef de l'Etat, mais déplore que dans les faits, le CSM est présidé par le ministre de la Justice qui est le responsable direct des magistrats. «Ceci est très grave», a-t-il ajouté. Dans la foulée Me Bouchachi accuse le ministère de la Justice de refuser d'appliquer des décisions de justice. «Des juges injustement écartés ont été réhabilités par le Conseil d'Etat. Mais le ministère de la Justice refuse d'appliquer cette décision. Et quand des juges eux-mêmes ne peuvent pas obtenir justice, que dire alors du simple citoyen ?», s'insurge le député, qui rappelle que durant ses 30 ans de carrière d'avocat, il n'a jamais rencontré une affaire où le citoyen a raison devant l'administration. Ahmed Betatache, premier secrétaire national du FFS, a appelé tous les acteurs de la scène politique à «un consensus autour de cette grande question qui est l'indépendance de la justice».