La dépouille de Nelson Mandela est arrivée hier après-midi dans sa résidence de Qunu (sud), le village de son enfance, où il sera inhumé aujourd'hui. Le prix Nobel de la paix, l'archevêque Desmond Tutu, a indiqué hier qu'il n'assisterait pas à l'enterrement de son ami et compagnon de lutte ; l'ancien archevêque anglican du Cap a annulé son voyage parce qu'il n'a reçu aucune invitation ou accréditation, a indiqué son entourage dans un communiqué. «Si mon bureau ou moi-même avions été informés que j'étais le bienvenu, pour rien au monde je n'aurais manqué cela», a-t-il indiqué. La présidence sud-africaine avait auparavant assuré qu'il figurait bien sur la liste des invités. Desmond Tutu critique régulièrement les dérives du gouvernement du président Jacob Zuma, notamment les scandales de corruption et l'échec à réduire les inégalités. En 2013, il a assuré qu'il ne voterait plus pour le Congrès national africain (ANC). Cela dit, comment est née cette nation arc-en-ciel qui, malgré la fin de l'apartheid, est marquée par les inégalités sociales ? En 1652, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales fonde la colonie du Cap. En 1668, des familles de huguenots pauvres débarquent au Cap suite à l'abrogation de l'édit de Nantes par le roi de France. L'Angleterre occupe la première fois le Cap en 1798 et une deuxième fois en 1805 ; la première vague de ses colons y arrive en 1836. Entre les Néerlandais qui s'appellent «Afrikaners» et les nouveaux venus blancs, les rapports sont conflictuels. Ainsi, les plus pauvres parmi les Afrikaners quittent les lieux en 1836 à la recherche d'un autre havre de paix. Sur leur chemin, ils rencontrent l'armée des Zoulous qui en élimine nombre d'entre eux ; mais ils finissent par se venger et fondent par la suite l'Etat du Natal, annexé par les Anglais en 1843. Les Boers créent le Transvaal et l'Orange. Les Anglais attaquent les Zoulous. Cecil Rodhes devient Premier ministre du Cap et propose une alliance des colons blancs aux Afrikaners. Une guerre éclate entre ces derniers et les Anglais en 1899. En 1910 est réalisée l'unité territoriale du pays qui consacre la naissance de l'Afrique du Sud, qui passe sous couronne britannique. Les Afrikaners attendront longtemps pour prendre leur revanche politique sur les colons anglais ; elle se concrétise en 1948 quand l'Union du parti nationaliste, leur parti, gagne les élections. Avant 1912, la résistance contre les spoliations des Blancs se fait de manière isolée. Chaque société lutte pour soi contre les trusts De son côté, l'avocat Ghandi organise les Indiens au Natal en créant, en 1894, le Natal Indian Congress. Créé en 1912, le South African Native National Congress (SANNC) se transforme en 1920 en ANC. Il passe les 25 premières années de son existence à rédiger des pétitions à l'adresse de la couronne britannique. Comme chaque année, il envoie des représentants à Londres pour rencontrer roi, ministres et députés mais ces derniers ne prennent pas en charge leurs doléances. Le tournant intervient en 1935 quand le gouvernement élimine des listes électorales du Cap les Africains qui ouvrent droit au vote. Ils proposent à l'ANC la création d'une instance, appelée le Native Representative Council, qui n'aura qu'une voix consultative dans les affaires de l'Etat. A la conférence de Bloemfontein du 16 décembre 1935, beaucoup de militants de l'ANC refusent de lutter contre une telle instance, d'où des divergences sur la poursuite et les objectifs de la lutte. Se forme ainsi une tendance nouvelle à l'intérieur de l'ANC. Un peu plus tard, en 1944, de jeunes – entre autres Nelson Mandela, Olivier Tambo, Walter Sisulu, Peter Roboroko, Magaiso Robert Sobuwke – créent à l'intérieur de l'ANC un groupe d'opposition appelé Youth League qui a pour objectif de réformer le parti. Ils développent leurs contacts avec des révolutionnaires du continent ; ils envoient leurs délégués au 5e Congrès panafricain de Manchester(1). En décembre 1946, l'ANC adopte son nouveau programme et inaugure une nouvelle étape dans sa lutte. Ce programme traduit un ensemble de revendications, entre autres le droit au vote sans discrimination pour tous les habitants du pays et l'abrogation de toutes les discriminations. Est posée aussi la question des réformes sociales urgentes. Président de l'ANC à l'époque, le docteur Xuma se rend à New York pour obtenir le soutien de l'Organisation des nations unies (ONU). En 1950, le Parti communiste est interdit et la majorité de ses militants rejoignent l'ANC. D'où le départ des militants de la Youth League venus de l'African Democratic Party qui créent le Panafrican Congress (PAC) en 1959, lequel opte pour la lutte armée de libération nationale. En mars 1960, des manifestations éclatent dans nombreuses zones urbaines du pays pour obtenir l'abrogation du passeport intérieur imposé pour se déplacer et l'augmentation des salaires. La police tue, à Sharpeville, 69 manifestants noirs. Clandestinité et lutte armée Le pouvoir de l'apartheid se voit menacé et interdit l'ANC et le PAC. Commence ainsi la lutte armée. L'ANC crée ses unités «Umkonto wa Sizwe», dirigées par Nelson Mandela et le PAC. Cependant, elles sont laminées. En juin 1976 éclatent les émeutes de Johannesburg. Des adolescents manifestent contre l'obligation de suivre leur enseignement en langue afrikaans. La répression du régime fait 23 morts. Vingt ans après la disparition de l'apartheid, le pays arc-en-ciel s'impose comme puissance économique émergente. Cependant, les inégalités sociales restent importantes. Une situation qui fait dire à Desmond Tutu et au Conseil des églises d'Afrique du Sud que le pays vit «un déclin moral».
(1) Le 5e Congrès panafricain s'est tenu en 1945. Regroupant les révolutionnaires des pays africains colonisés par la Grande-Bretagne, il était présidé par Jomo Kenyatta assisté par Kwameh N'krumah.