Les autorités algériennes ne reconnaissent pas encore le contrat de franchise, mais les marques internationales ont déjà investi plusieurs villes du pays. En coulisses, elles signent des contrats de distribution exclusifs avec un réseau restreint de sociétés algériennes, en contournant parfois les contraintes de la réglementation nationale. La franchise est née d'un détour. Interdit d'installer ses propres points de vente par la loi américaine, le géant de l'automobile General Motors en a été l'un des précurseurs en proposant à des distributeurs indépendants un type de contrat lui permettant de vendre ses produits, en échange d'une enseigne attractive pour leurs magasins. Depuis le début des années 2000, l'Algérie s'ouvre progressivement à l'économie de marché mais ne reconnaît pas juridiquement la notion d'exclusivité, qui est l'une des bases de la franchise. Pourtant, dans les faits, certaines entreprises algériennes s'emparent de ces nouveaux marchés rentables en signant des contrats d'exclusivité pour conserver le monopole de leurs marques étrangères sur le marché. C'est le cas de la société algérienne Mortex qui, depuis sa création en 2009, a fondé l'enseigne Morera et détient, en Algérie, l'exclusivité de six marques étrangères de textile, dont la marque de vêtements pour enfants Tape à l'œil. «J'ai fait de l'importation et de la distribution en gros pour la marque de textile RG 512. Un an plus tard, j'ai eu l'autorisation d'ouvrir un premier point de vente à Tizi Ouzou. J'ai ensuite créé la marque Morera en 2004 pour compléter l'offre masculine de RG 512 en collection pour femmes, filles, enfants et bébés», affirme Saïd Zouaoui, PDG de Mortex. Morera est aujourd'hui une enseigne multimarques qui offre environ 70% de produits sous son propre nom. «Après l'ouverture du centre commercial de Bab Ezzouar (Alger), nous avons commencé à y voir plus clair sur la distribution, j'y ai donc ouvert un magasin Morera en 2010, puis un autre au centre commercial Ardis (Alger) en 2012», affirme le PDG. Concept «Le centre commercial de Bab Ezzouar a introduit en Algérie une vision structurée et sécurisée de la distribution qui rassure les marques et les groupes étrangers. Le Mall (centre commercial) est aussi un laboratoire pour la franchise dont le développement est observé de près par les autorités, pour une éventuelle législation en la matière», affirme Kamal Jean Rizk, directeur général de Bab Ezzouar Center. L'Algérie impose en effet ses propres contraintes pour l'importation des produits et le rapatriement des royalties par le franchisé. Ces limites font de la franchise en Algérie un concept partiel qui ne dit pas son nom. Sur les trois étages de Bab Ezzouar Center, une majorité de marques étrangères aux vitrines bien étudiées se sont installées. «Le centre commercial ne peut pas se passer de marques, Ardis l'a d'ailleurs compris en projetant d'intégrer des marques étrangères», explique Kamal Jean Rizk. «Nous vendons nos produits et ceux de marques étrangères avec l'idée de s'insérer solidement dans le tissu de la distribution, affirme le PDG de Mortex. Je projette également de signer avec Etam Lingerie (sous-vêtements pour femme) et de faire entrer prochainement Kiabi (vêtements) en Algérie.» Ce qui se vendait en produits Kiabi sur le territoire algérien était, selon le PDG «du déstockage de fin de série mis en rayon quelques années auparavant, et ce, à des prix dérisoires. On a préféré attendre quelques années pour que le marché algérien soit un peu plus mûr et que le consommateur maîtrise mieux le produit pour enfin annoncer que Kiabi arrive avec un meilleur produit au meilleur prix». Mortex a aussi proposé l'arrêt du commerce concurrentiel du déstockage au fabriquant des sous-vêtements Dim quand la marque de lingerie française démarchait déjà les sociétés algériennes. «Avec Dim, nous avons longuement négocié mais sans résultat. Je voulais d'abord voir comment faire évoluer la distribution dans les grandes surfaces en Algérie, car c'est là que je projetais de commercialiser Dim. Au final, cette marque a préféré ouvrir des boutiques en son propre nom.» Dim a donc démarché la société Playmode qui a acquis l'exclusivité de la marque sur tout le territoire algérien en 2012. «Dim est passé par la mission économique d'Ubi France, qui l'a dirigé vers plusieurs sociétés et ce fut une opportunité commerciale pour nous», affirme la communication de Playmode. «Nous distribuons déjà des produits Dim à Alger et dans nos magasins multimarques Urban Jungle (vêtements et articles de sport)», dont Playmode est le représentant exclusif en Algérie. Master-franchise Le groupe possède aussi l'exclusivité de la marque de sport Nike. Dans ce cas particulier, Playmode peut permettre à d'autres distributeurs locaux d'ouvrir des points de vente Nike en Algérie. «C'est le principe de la master-franchise. Le représentant officiel donne à un distributeur indépendant la gestion des points de vente, moyennant une marge supplémentaire sur l'achat et la revente des marchandises», affirme un consultant sous le couvert de l'anonymat. Donner une master-franchise permet à une marque internationale de multiplier ses points de vente à moindre coût, car le franchisé finance lui-même son point de vente. La condition qu'incluent les franchiseurs dans les contrats est l'ouverture obligatoire de magasins dans un cadre spatiotemporel déterminé. «C'est une des conditions requises par exemple par Carré Blanc (linge de maison), mais en cas de difficulté, la marque peut passer outre cette exigence», affirme Manel Touileb, cogérante de l'enseigne à Saïd Hamdine (Alger). Exclusivité Les groupes qui détiennent des enseignes multimarques passent eux aussi par les franchises pour importer. C'est le cas de Great Way qui détient en Algérie l'exclusivité de l'enseigne City Sport (vêtements de sport) et entre autres la marque turque Tekbir qui conçoit des vêtements pour femme voilée. «Le passage obligé par des intermédiaires dépend de la politique d'exclusivité de chaque marque. Quand nous souhaitons importer du Tekbir, nous nous adressons directement au siège en Turquie, il n'y a pas d'intermédiaire. Cependant, quand nous devons commander nos produits Nike ou Adidas pour City Sport, nous devons passer par l'intermédiaire de Playmode pour Nike et par Mistral Sport pour Adidas et Reebok. Quand nous importons des produits pour City Sport, nous devons aussi passer par Mercure International Monaco (MIM) qui est propriétaire de la marque et qui détient également l'exclusivité de certaines marques de sport en Afrique», affirme une responsable de Great Way. L'exclusivité est en fait relative. «Il arrive qu'une société algérienne ou étrangère partage l'exclusivité avec un autre groupe de marque», indique un consultant. C'est le cas de Mango (vêtements), qui est représentée à Sidi Yahia (Alger) par le groupe saoudien Al Hokair et à Bab Ezzouar et Dély Ibrahim par le groupe libanais Azadea qui a ouvert plusieurs boutiques au Moyen-Orient. Spécificités «Le fait qu'Azadea ait ouvert deux magasins dans la capitale signifie tout simplement que Mango n'accorde pas l'exclusivité de sa marque à une seule entreprise. La politique est différente. Parfois une marque internationale peut accorder l'exclusivité à un groupe étranger sur une ville et attribuer le reste du territoire à une autre société», explique le consultant. «Il arrive que le chiffre d'affaires généré soit faible sur certaines marques. Soit parce que le franchisé a fait une erreur d'étude de marché, soit parce que la marque a élevé son positionnement pour s'aligner sur des marques haut de gamme. Certaines marques sollicitent donc d'autres distributeurs, même s'il y a un contrat d'exclusivité. L'exclusivité n'est pas fermement appliquée», développe Ali Attouche, distributeur officiel de marques de luxe comme Lancel (maroquinerie) ou Givenchy (cosmétiques et accessoires). En Algérie, les contrats de franchise sont signés selon la législation et les règles de déontologie appliquées dans le pays de la marque. Une stratégie des entreprises algériennes pour conserver leur exclusivité dans le pays. Si elles perdent leur «territoire contractuel», elles peuvent régler tout litige auprès des tribunaux européens où le contrat de franchise est reconnu. «En échange de l'attribution de ce territoire contractuel, les marques intègrent une sorte de clause de non-concurrence dans le contrat pour que le franchisé n'exploite pas une marque concurrente. On peut penser que les marques sont en position de force, mais ce n'est pas véritablement le cas», ajoute le consultant. Les sociétés algériennes sont en effet très sollicitées par les marques étrangères. Alors que les négociations commerciales traînent, elles peuvent jouer sur le fait qu'elles pourraient choisir un concurrent dans un segment commercial similaire. Pour peser dans la balance, le franchisé peut également demander à la marque de signer une sorte de «précontrat». Les deux parties peuvent ainsi s'entendre sur l'ouverture anticipée d'un magasin avant la signature du contrat final afin de ne pas perdre un emplacement stratégique. Royalties «La franchise en Algérie se construit autour d'un marché de quasi-monopole, où les sociétés algériennes les plus expérimentées et les plus sollicitées élargissent leur portefeuille de marques. Les filiales des groupes étrangers se réunissent pour discuter des marchés émergents et des partenaires leaders présents dans ces marchés, en évitant bien sûr que ces discussions arrivent aux oreilles de la concurrence», explique le consultant. «Les marques étrangères peuvent même s'asseoir sur les royalties pour obtenir le marché algérien. Les deux parties évitent tout simplement de mentionner “contrat de franchise'' dans les contrats et utilisent plutôt les termes “contrat de distribution'' pour ne pas froisser les autorités algériennes», ajoute-t-il. Les contraintes liées au rapatriement des devises ont eu pour conséquence de modifier la structure des relations financières entre la marque et le franchisé. «Certains franchisés sont tenus d'atteindre un objectif de vente précis pour rémunérer la marque sur le chiffre d'affaires», affirme le consultant. «Au lieu de céder à la marque une marge de 30% sur les ventes, on ne lui cède que 25%. Les 5% compensent les droits d'utiliser le nom de la marque. C'est ce qui explique la multiplication du nombre de franchises malgré sa non-reconnaissance, indique Abdelhak Lamiri, consultant en management. Certaines franchises de production passent par l'intermédiaire des marques pour importer des matières premières et payent les marchandises plus cher avec les deux marges du producteur et de l'importateur.» «On fixe un contrat de prestations de services pour pouvoir payer ces royalties. Nous rémunérons la marque pour son assistance technique», explique Tedj Bekati, directeur du marketing et des ventes dans la franchise familiale de production Tchin Lait Candia, basée à Béjaïa. «Pour les contrats d'assistance technique dans lesquels se classe la franchise, la Banque d'Algérie autorise le transfert pour les prestations effectivement réalisées : il doit y avoir un travail réel comptabilisé, peu importe qu'il soit fait ici ou à l'étranger. Le droit d'utiliser le nom de la marque, le droit d'entrée, impliquent un versement fictif en contrepartie du droit d'exploiter une marque, ce que refuse la Banque d'Algérie. Cependant, sans droit d'entrée officiel, il n'y a pas de royalties et, sans royalties, il n'y a pas de franchise», affirme un avocat d'Alger. «En réalité, rien n'est interdit dans l'absolu, il y a tout simplement des verrous que la Banque d'Algérie met en place pour protéger les devises et les réserves de changes du pays», explique Hind Benmiloud, avocate à Alger. Franchise algérienne Dans la franchise, il y a un échange de savoir-faire entre la marque et le franchisé, qui permettrait, à terme, aux entreprises algériennes de se développer. «Le recours aux franchises permet d'acquérir certaines notions dans la distribution, les techniques de vente et le merchandising (par exemple la manière d'exposer les vêtements, ndlr) afin de concevoir le développement futur d'enseignes locales», affirme Saïd Zouaoui, PDG de Mortex. C'est le cas de Must, jeune réseau de parfumeries qui a vu le jour en 2010 et qui compte quatre magasins à Alger et un à Bouira. «Développer Must sous la forme d'un réseau de franchises nationales est un projet à moyen terme, mais nous devons avant cela mettre en place une structure à même de répondre aux exigences de qualité que nous devons assurer à notre client, projette Nabil Merabet, directeur général de l'enseigne. Il faudra cependant développer un savoir-faire national qui commence à germer pour que le concept de franchise “made in Algeria'' soit parfaitement maîtrisé par nos concitoyens.» Dans le pays, le potentiel de bénéfices du concept de franchise convainc de plus en plus d'acteurs économiques. «Nous voulons constituer un réseau de commerçants algériens afin de créer des franchises algériennes», déclare Djelloul Berouaken, propriétaire de l'enseigne algérienne Time Gallery qui propose des choix de produits horlogers à Bab Ezzouar. Ce sera peut-être l'occasion de convaincre les autorités du potentiel de la franchise.»