Le projet de loi sur l'activité audiovisuelle discuté, depuis hier à l'Assemblée populaire nationale, est porteur de beaucoup de pièges. La libération des ondes n'est pas pour demain. Le texte de loi sur l'audiovisuel est déjà ligoté par la loi 12/05 du 12 janvier 2012 sur l'information. Une loi organique. La fermeture est consacrée à plusieurs niveaux dans le texte soumis aux députés. La commission de la culture, de la communication et du tourisme de l'APN a découvert qu'elle s'attaquait à un texte sensible après avoir débattu à huis clos sur le projet. Lakhadar Benkhelaf, député du Parti de la justice et du développement, a ouvertement accusé cette commission d'avoir présenté «un faux» rapport préliminaire expliquant les amendements apportés au projet du gouvernement. Il a mis à l'index ceux qui se sont habitués à «détourner la volonté du peuple», de lancer une bataille contre la presse et la liberté en «imposant des dispositions consacrant la domination et la soumission». «Le journaliste qui exerce dans ce secteur est mis en inculpation dès le départ. C'est une loi d'étranglement médiatique proche du code pénal», a-t-il appuyé. Même point de vue chez Mustapha Bouchachi, député FFS. «Ce projet de loi est une régression par rapport aux lois qui existaient il y a vingt ans. J'espère que les députés vont rejeter cette loi qui ne concrétise pas la liberté d'expression dans le pays», a-t-il soutenu. Le privé algérien n'aura pas le droit de lancer des chaînes généralistes dans le projet de loi. En la matière, le terrain a été balisé par la loi sur l'information. Pourquoi la question des chaînes thématiques imposées aux privés n'a pas été abordée lors du débat concernant la loi sur l'information ? «Il faut demander cela aux députés», a répondu Abdelkader Messahel, ministre de la Communication. La future Autorité de régulation aura droit de vie et de mort sur les télévisions et radios privées. Les neuf membres de cette autorité seront désignés par le président de la République (cinq) et les présidents des deux Chambres du Parlement (deux chacun). Mais où sont donc passés les professionnels ? Et pourquoi les membres ne sont pas élus ? Pas de réponse dans le texte. L'Autorité, qui aura pouvoir de police, peut retirer l'autorisation de diffusion et saisir le matériel de transmission. Théoriquement, ce pouvoir est celui de la justice qui ne prend la décision qu'après un procès équilibré. L'Autorité de régulation, assimilée à un pouvoir administratif de contrôle et de censure, peut suspendre la diffusion d'une télé ou d'une radio dans le cas «d'atteinte» à «l'ordre public», aux «bonnes mœurs», à «la sécurité» et à «la défense». Qui évalue «l'atteinte» et qui tranche en définitif ? L'Autorité de régulation qui peut facilement assimiler une enquête journalistique sur le banditisme urbain à une atteinte «à la sécurité», comme elle peut considérer un reportage sur la prostitution comme à une atteinte «aux bonnes mœurs». Le contrôle de l'Autorité de régulation s'étend, dans des conditions encore peu claires, à l'activité audiovisuelle sur internet. Avec une évidente arrière-pensée de fermeture, le rédacteur du projet de loi sur l'activité audiovisuelle a précisé que celle-ci est dévolue aux «institutions publiques», «aux entreprises et appareils du secteur public» et… aux entreprises et sociétés, soumises au droit algérien, «autorisées». Pas de fréquences libres sur la fm Ce mépris sémantique signifie que les chaînes de TV et de radios privées ne sont qu'autorisées, ou peut-être même que tolérées, à diffuser en Algérie. Par ailleurs, et d'après la même terminologie législative, Sonatrach, Naftal, Algérie Poste ou même la DGSN peuvent avoir leurs télés et radios. En même temps, le ministre de la Communication s'est plaint du «manque» de fréquences pour les radios. «Il ne faut pas confondre production et diffusion. Une chaîne privée peut produire autant de volume. Pour ce qui est de la modulation de fréquence, la FM, il n'y a pas d'espace dans le contexte actuel. Il n'y aucune fréquence de libre sur la FM», a-t-il annoncé. Il a précisé que les fréquences sont distribuées régulièrement par l'Union internationale des télécommunications (UIT). «Nous aurons des réunions prochaines avec l'UIT où nous soulèverons cette question pour que nous ayons plus de fréquences et plus d'ambition», a insisté Abdelkader Messahel. Les chaînes privées peuvent, selon lui, recourir aux MW (ondes moyennes), aux SW (ondes courtes) et aux LW (grandes ondes). La diffusion sur ces ondes ne se fait pas en stéréo et les conditions de réception sont parfois médiocres. «Il est normal qu'une radio privée aspire à avoir une diffusion nationale. Mais, il faut des antennes partout. Il faut de l'investissement», a-t-il noté. L'état omniscient Avant tout lancement d'une télé ou d'une radio, le propriétaire doit signer avec l'Autorité, qui accorde les fréquences, une convention débordant de conditionnalités qui s'ajoute à un gros cahier des charges. Un propriétaire ne peut pas avoir plus d'une chaîne de télé ou de radio. Les positions dominantes sont interdites. De plus, les créateurs de nouvelles télés et radios doivent détailler, avant d'avoir l'autorisation d'émettre (obtenue après payement), les perspectives financières pour le développement de leurs projets. La commission de l'APN a proposé d'allonger la période de validité de l'autorisation de diffusion à douze ans, au lieu de dix, pour les télés, et, à six ans, au lieu de cinq, pour les radios. Le renouvellement de l'autorisation doit être soumis à «un avis argumenté» de l'Autorité de régulation (article 28). L'Etat se donne le droit de préemption dans le cas d'une opération de vente d'une télé ou d'une radio. Autrement dit, l'Etat peut «nationaliser» une chaîne privée lorsque l'occasion se présente. La Télédiffusion d'Algérie (TDA), organisme public, est seule habilitée à accorder les fréquences et l'accès aux satellites. L'accord doit faire l'objet d'un contrat entre la TDA et les propriétaires des chaînes de télé et de radio. Ces derniers ont-ils le droit de choisir les satellites et les fréquences ? Pas clair. La commission de l'APN a ajouté à la liste des conditions contenues dans le cahier des charges ceci : «Respecter la référence religieuse nationale» (le sunnisme), «promouvoir l'esprit de citoyenneté et de la culture du dialogue», «promouvoir les deux langues nationales, la cohésion sociale, le patrimoine national et la culture nationale dans toutes ses expressions», «s'interdire de servir des objectifs de groupes d'intérêt politiques, économiques, ethniques, financiers, religieux ou idéologiques»… Les prochaines chaînes de télé et de radio doivent accorder la priorité aux Algériens dans le recrutement et consacrer 60% des programmes à la production nationale «réalisée en Algérie». Les productions étrangères doublées dans les deux langues nationales ne doivent pas dépasser les 20% de la grille des programmes.