-Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la question de la mort de Maurice Audin ? J'avais travaillé sur les tortionnaires en Algérie pour réaliser un documentaire. J'avais eu alors l'occasion de rencontrer le général Aussaresses avec qui j'avais publié un livre intitulé Je n'ai pas tout dit. On avait abordé l'affaire Audin, mais on n'avait rien écrit dessus. Le temps a passé, et j'ai eu sa femme au téléphone, pour avoir de ses nouvelles, car elle était malade. Je n'étais pas spécialement ami avec les Aussaresses, je les avais connus dans le cadre de mon travail. Lors de déplacements en Alsace, moi qui habite Paris, à plusieurs reprises j'ai rencontré le général Aussaresses par la suite. J'ai rencontré aussi d'autres protagonistes qui avaient servi en Algérie. Certains ont voulu parler, d'autres pas, et j'ai fait un livre qui n'est pas un recueil de témoignages, mais une enquête. -Votre livre est présenté comme étant porteur d'une révélation exceptionnelle. En quoi ? D'abord parce que c'est Aussaresses qui parle. Déjà Nathalie Funès avait fait un papier dans le Nouvel Observateur, il y a quelques mois lorsqu'elle avait découvert une lettre posthume du colonel Godard qui mettait en cause un lieutenant et Aussaresses dans l'assassinat de Maurice Audin. -Pourquoi est-ce important que la vérité éclate aujourd'hui, 57 ans après les faits ? Parce que c'est un des derniers mystères de la guerre d'Algérie, Mme Audin a vu son mari partir un jour et elle ne l'a jamais revu, et l'armée a caché par tous les moyens cette histoire. -C'est un crime d'Etat, dites-vous ? Oui, quelqu'un a été assassiné et l'Etat s'est tu. Les militaires concernés, le pouvoir politique, représenté alors par des personnes, aujourd'hui tous décédées, comme Max Lejeune, Guy Mollet, Bourgès-Maunoury, a camouflé le crime. Aujourd'hui encore, pour l'armée, Maurice Audin est mentionné officiellement «porté disparu». On sait à présent que l'évasion était un simulacre et qu'Audin a été assassiné. -Dans les propos qu'Aussaresses vous a tenus, quelles sont les expressions décisives ? Ne mentait-il pas une fois de plus ? D'abord pourquoi m'aurait-il révélé la version la plus dure pour lui. Alors qu'il est un ancien militaire. Cela aurait été plus facile de dire qu'Audin était mort sous la torture, ou qu'Audin avait eu une crise cardiaque. Il m'avait fait part, avant, de plusieurs versions. Il ne voulait pas parler. Puis il a dit ce que je pense être la version définitive, la vérité. Ce qu'il explique correspond, avec quelques divergences, à une version déjà donnée par Nathalie Funès dans le Nouvel Obs, selon laquelle Audin a été exécuté. Cela est aussi proche d'une version de 1969 dans un livre d'Yves Courrière, Le temps des léopards. Alors que la version officielle a toujours affirmé que Maurice Audin a disparu, et qu'on ne savait pas ce qu'il était devenu. Mon livre révèle un enchaînement d'ordres qui vont de Massu aux derniers exécutants. La divergence entre ma version qui est celle d'Aussaresses lui-même, avec celle de Godard, est que l'ancien colonel disait qu'il y avait une erreur de personne, et qu'Audin a été pris pour un autre. Moi je dis que les soldats de Massu en 1957 savaient qui était Henri Alleg dont la photographie était connue. Et ils savaient qu'ils avaient entre les mains Audin. -L'exécution d'Audin, selon vous, aurait-elle servi d'exemple aux Européens qui embrasseraient la cause nationaliste algérienne ? Oui. Mais pourquoi Audin ? Ça, c'est un mystère, quelque chose à laquelle je ne peux pas répondre. Ce n'était pas le personnage le plus important, il était responsable de l'hébergement du Parti communiste algérien clandestin. On peut cependant pointer le climat anticommuniste des militaires, qu'on peut qualifier de viscéral. Il suffisait bien que les Algériens soient en lutte, mais que des métropolitains, comme on disait à l'époque, soient avec le FLN, c'était à leurs yeux insupportable, cela devenait une cinquième colonne pour eux. -Etes-vous entré en relation avec Mme Audin pour votre travail ? Pas du tout. Je voulais faire une enquête du côté des bourreaux, pas des victimes. Je voulais simplement apporter ma pierre à la vérité sur la mort de Maurice Audin. Le général Aussaresses était l'un des derniers témoins, sinon le dernier.