De quoi la société algérienne est-elle le nom ?» C'est la grande question de cette première édition des Débats d'El Watan pour l'année 2014. Et pour nommer, justement, «les mots et les choses» de notre société – pour reprendre la formule de l'un des intervenants, en l'occurrence Rabah Sebaa –, trois spécialistes ont été conviés à la tribune de la salle Cosmos hier. Autour du politologue, Mohammed Hachemaoui, concepteur de ce forum, sont intervenus, respectivement Fériel Lalami, politologue, spécialiste de la condition féminine en Algérie et au Maghreb ; Abderrahmane Moussaoui, anthropologue, fin connaisseur de la sociologie des religions, et enfin Rabah Sebaa, expert en linguistique et en anthropologie culturelle. Introduisant les termes du débat, Mohammed Hachemaoui fera remarquer, comme de juste, que «l'Algérie connaît depuis ces vingt dernières années de profondes mutations». Des mutations marquées, entre autres, par «la privatisation de la violence et une corruption généralisée», et que résume, dit-il, «l'aphorisme populaire : ‘‘tag âla men tag''». Le politologue ajoute que «ces bouleversements affectent les institutions et les normes» et «ont achevé de brouiller la lecture» de ces transformations. «D'où un besoin de compréhension pressant», insiste-t-il. Le professeur Hachemaoui relève que les connaissances accumulées dans ce champ de recherche s'avèrent «largement insuffisantes». Dans une allusion à peine voilée à la déconsidération des sciences sociales dans la bouche du Premier ministre qui décrétait, il n'y a pas si longtemps, la suprématie des sciences techniques, M. Hachemaoui a déploré «une énième campagne de stigmatisation des sciences de l'homme et de la société», ce qui, selon lui, n'aide pas à une meilleure interprétation des mutations sociales en cours. Les Débats d'El Watan qui accordent, fort heureusement, une place de choix aux experts de tous bords pour disséquer les grandes problématiques de notre temps, ont montré une nouvelle fois, à l'occasion de ce colloque, leur profond attachement aux sciences sociales comme productrices de sens. Au sommaire du forum d'hier, donc, trois communications qui ont abordé, chacune, un segment particulier du corps social et des dynamiques qui travaillent la société algérienne. Fériel Lalami a étrenné ces Débats par un exposé sous le titre : «Situation des femmes algériennes : quelles logiques à l'œuvre ?» Une intervention des plus pertinentes tant la condition féminine et le statut des femmes constituent un baromètre du progrès social. L'auteur du livre : Les Algériennes contre le code de la famille. La lutte pour l'égalité (Paris, Presses de Sciences-po., 2012) observe un décalage entre les conquêtes citoyennes des femmes et l'évolution positive de leur situation dans le monde universitaire, dans les arts ou encore dans le sport, d'une part, et une «logique étatique» d'autre part qui maintient une «hiérarchisation des sexes» par le code de la famille qui, rappelle-t-elle, boucle ses 30 ans cette année. Quant à Abderrahmane Moussaoui, il consacre sa conférence aux «nouvelles figures et pratiques du sacré en Algérie». L'anthropologue, brillant comme à l'accoutumée, constate notamment une fissuration du socle sunnite-malékite qui a longtemps été le modèle théologique dominant au Maghreb, au profit de nouvelles pratiques à l'intérieur même de l'espace «cultuel» musulman. Des formes de religiosité mondialisées et «à la carte», note-t-il. Enfin, Rabah Sebaa, de l'université d'Oran, s'est penché pour sa part sur le monolithisme linguistique et culturel imposé par le haut, et qui tranche, souligne-t-il, avec la «multi-expressionnalité vivante de la société algérienne». Nous reviendrons évidemment, avec de plus amples développements, sur chacune de ces interventions dans notre édition de demain. Ne pas manquer les comptes-rendus détaillés de nos collègues Nadjia Bouaricha et Ghania Lassal.