Il est heureux de constater que les acteurs économiques et les citoyens pointent du doigt le phénomène bureaucratique comme une des sources des nombreux maux qui gangrènent la société. Les problèmes de chômage, d'inflation, de logement et de santé ont des origines bureaucratiques importantes. Bien sûr que plus profond que cela demeure toujours la sociologie politique du pays qui est en cause. On n'a pas suffisamment compris ou pris en charge le phénomène bureaucratique. Ce n'est pas nouveau. Depuis des décennies, tout le monde s'en plaint, alors qu'y a-t-il de nouveau ? A mon sens, deux développements importants sont à considérer. En premier lieu, on commence à mieux cerner l'ampleur du désastre bureaucratique à travers les maux qu'il occasionne aux agents économiques. Ces derniers, à travers des nombreuses litanies, sont arrivés à convaincre l'Etat et les citoyens de la gravité de la situation. En second lieu, on traitait le phénomène administratif comme un mal important verbalement, mais secondaire lorsqu'il s'agissait de prendre des décisions qui engagent d'énormes ressources. Le phénomène tant décrié par les économistes intéressait très peu les chercheurs en sciences sociales. Très peu d'études lui furent consacrées jusqu'à une période très récente. Paradoxalement, on considérait que le phénomène était «important», mais pas digne d'investigations scientifiques détaillées. Mais ces dernières années, de plus en plus d'études lui furent consacrées. Certes, ce sont surtout des travaux académiques. Mais dans notre pays, les recherches sont peu exploitées. Les chercheurs et enseignants universitaires se plaignent que leurs travaux soient peu utilisés. Les opérationnels pensent que ce qu'on leur propose est très «théorique» et ne peut en aucun cas faire avancer leurs causes et résoudre leurs problèmes. Les opérationnels et les chercheurs communiquent peu dans notre pays. Ils ne savent pas se parler. Dialoguer en permanence serait le début de la solution. Quelques erreurs à éviter Lorsqu'une réelle volonté politique de dé-bureaucratisation débute, de nombreux errements possibles guettent les décideurs. Cependant, nous constatons souvent deux types d'erreurs diamétralement opposées souvent faites par de nombreux pays. Certains comptent sur l'administration pour s'auto-réformer. Les pesanteurs développées sont telles qu'une telle alternative enfante souvent des résultats totalement contradictoires avec les attentes. Il faut éviter coûte que coûte un tel leurre. La seconde erreur consiste à produire des processus techniques (procédures, TIC, nouveaux postes de travail), etc. sans préparation et sans participation aucune des premiers concernés. Alors le rejet serait tel que les ressources financières consenties seraient purement et simplement perdues sans contrepartie importante. Nous avons une situation de gestion du changement greffée sur une mutation profonde des processus. Les administrations modernes sont expertes et légères au lieu d'être lourdes et bureaucratiques. Les premiers concernés savent qu'une réelle dé-bureaucratisation aboutira à réduire les effectifs. Nous avons presque deux millions de personnes dans les différentes administrations. L'étude de «débureaucratisation» pourrait révéler par exemple que l'optimum serait d'arriver à six cent mille personnes. Il est normal et humain que beaucoup s'inquiéteraient de leur devenir et de leur famille. Le traitement des sureffectifs devrait suivre le même cheminement que celui des entreprises à restructurer ou à privatiser. Un fonds de restructuration national devrait être activé. Certains administratifs disposant d'un potentiel seraient formés, mis dans un incubateur pour créer leurs propres entreprises. Beaucoup vont mieux s'enrichir et s'épanouir que s'ils seraient restés toute leur vie dans des administrations ; d'autres seraient qualifiés pour prendre des postes dans des entreprises économiques. Enfin, certains seraient pris en charge socialement jusqu'à retrouver un emploi productif à salaire équivalent. Ce fonds de restructuration garantirait qu'aucun administratif ne perdrait un centime de son salaire à cause de l'opération. Créer les industries qui savent débureaucratiser De toute façon, ces personnes sont rémunérées, il faut le faire jusqu'à ce qu'ils améliorent leurs conditions ailleurs. Alors, l'adhésion serait plus facile. Par ailleurs, ceux qui restent doivent subir des formations de pointe, chacun dans son domaine serait qualifié selon des standards internationaux. Nous avons là le début de la réussite : dimensionner l'administration à sa juste mesure, qualifier ses ressources humaines, accompagner le reste dans leurs transitions de carrière. Mais le plus dur reste à faire. La modernisation managériale de nos administrations nécessite de créer toute une chaîne d'industries d'expertises dans le domaine de la «débureaucratisation». Les industries des recyclages, le développement des TIC appliquées aux activités administratives, les sociétés de conseil spécialisées en réingénierie des processus administratifs ne sont qu'un échantillon des sociétés qu'il convient de créer avant de lancer un programme sérieux de «débureaucratisation». Créer un ministère n'est que le tout début du projet. Il faut créer les instances de démultiplication ; c'est-à-dire une expertise nationale qui forme et crée ces sociétés. Nous aurons besoin au début d'un léger partenariat international. Par la suite, ces sociétés vont qualifier les ressources humaines administratives, travailler avec elles pour booster leur performance, réaliser la réingénierie des processus, utiliser au maximum les TIC et réussir ensemble le changement. Toutes ces opérations aboutirons à mettre en place les mécanismes de transparence, responsabilisation, participation, qualification, intégration des utilisateurs et toute une panoplie de mesures visant la professionnalisation de nos administratifs. Les responsables (walis, chefs de daïra, directeurs d'hôpitaux, d'universités, d'agences diverses etc.) seront appelés à signer des contrats de performance. Bien sûr, ces entreprises de «débureaucratisation» savent créer et utiliser les indicateurs de performance. Un wali aura, par exemple, comme indicateurs de performance : le niveau de l'investissement, le taux de chômage, taux de satisfaction des administrés, etc. Bien sûr qu'il faut alors lui donner les moyens et l'autorité qu'il faut pour réaliser ses objectifs. Nous irons alors fatalement vers plus de décentralisation. Beaucoup de gens s'imaginent que la «débureaucratisation» est simple. Ils se trompent lourdement. C'est une véritable révolution scientifique et humaine.