C'est la première fois que le téléspectateur algérien-et avec lui le public maghrébin- est mis dans un tel état de nervosité, voire de fébrilité vis-à-vis de la Coupe du monde de football qui démarre ce vendredi. Si pour les précédentes éditions, la retransmission des matches, de la totalité des matches, ne posait aucun problème majeur, du moins insoluble, ni technique, ni financier, ni politique, la donne semble avoir fondamentalement changé avec ce rendez-vous allemand qui, en livrant encore plus la diffusion des images au diktat des businessmen, introduit avec fracas une autre vision dans la sphère pourtant très éclectique de la balle ronde. Une vision à l'évidence qui ne se conjugue plus avec un certain romantisme sportif qui a fait rêvé des millions de férus dans le monde puisque celle-ci est, désormais, outrageusement dominée par le profit et le sens des affaires. Le Mondial étant l'événement sportif international le plus suivi à l'échelle planétaire, on a une rare idée sur les capitaux faramineux qu'il brasse et les bénéfices incommensurables qu'il génère à travers les circuits financiers classiques qui le supportent ayant pour nom sponsors, publicité, droits de retransmission,... Jusque-là, c'est-à-dire jusqu'à la dernière Coupe du monde en date co-organisée par la Corée et le Japon, toutes ces sommes à plusieurs zéros contrôlées par le maître d'œuvre, la puissante FIFA, paraissaient suffire pour mettre sur pied dans les moindres détails et amortir copieusement le gigantesque spectacle. Le produit livré à la planète entière faisait, en apparence, des heureux dans les deux sens. Aussi bien, les concepteurs qui, au-delà de tout esprit de philanthropie qui ne les a jamais animés, arrivaient toujours à trouver leurs comptes, que les consommateurs que nous sommes et qui persistaient à croire que le Mondial appartenait un peu, quelque part, à chacun d'entre nous. Les grands équilibres, en fait, semblaient étudiés pour mesurer les appétits mercantiles des uns au profit de l'extraordinaire mouvement d'émotion créé pour les autres. Or voila que l'on assiste aujourd'hui à la rupture brutale de ces équilibres qui se font à l'avantage de ceux qui se considèrent comme étant les propriétaires exclusifs de la manifestation, donc en droit d'en disposer comme bon leur semble. Ce droit se traduit, dans le cas de figure qui nous intéresse, par la vente froide, sans aucun scrupule, du produit footballistique comme une vulgaire marchandise, quitte à bouleverser tous les rapports sentimentaux et affectifs qui lient le football à ses admirateurs toutes catégories sociales confondues, frustrant par conséquent ces derniers des indescriptibles moments de sensations fortes, de joie et de liesse populaire qu'ils s'apprêtaient à vivre dans les quatre coins du globe et que la chaîne Arte a si bien reproduits dans une de ses émissions consacrées cette semaine à l'histoire de la Coupe du monde. Ces instantanés pris un peu partout dans le monde, y compris chez nos bouillonnants supporters, montrant l'incroyable popularité acquise par le football, risquent de n'être plus qu'un souvenir devant les nouvelles règles de domination qui régissent le monde et que la FIFA, en tant que représentante du clan des nantis, applique, sans se soucier de l'indécence de son acte. On a parlé de rapt du Mondial, mais cette pression que les Algériens ont ressentie à travers la non-retransmission des matches leur a fait prendre un peu plus conscience du fossé qui sépare le monde des riches de celui des pauvres, les privilégiés de la planète Nord par rapport aux infortunés du Sud. C'est cela en quelque sorte la mondialisation, arène de confrontation, où les forts ne feront aucun cadeau aux faibles. La Coupe du monde, pour conclure, est en train d'emprunter une voie dangereuse où le pouvoir de l'argent devient déterminant. Que restera-t-il aux pays du tiers monde, les plus pénalisés, pour défendre leurs droits à la fête du football ? Le retrait de leurs équipes de la compétition pour crier leur colère reste envisageable, mais ira-t-on un jour jusque-là ?