La période estivale est synonyme de vacances, mais aussi de l'accroissement vertigineux de la consommation d'alcool. L'on va assister de nouveau à l'explosion des dommages collatéraux liés à ce phénomène qui a connu une évolution exponentielle. La Kabylie est bien placée sur le tableau noir du malheur éthylique. Elle va dans le mur dans l'indifférence générale. La situation a pris une tournure dramatique mais elle est devenue un véritable tabou. On détourne le regard d'un mal qui ronge en profondeur la société comme s'il s'agissait d'une fatalité. Elus locaux, administrations de wilaya, services de sécurité, professionnels de la santé, aucune partie n'a marqué un arrêt devant ce phénomène pour établir un état des lieux et proposer un plan de lutte pour, dans un premier temps, sauver des vies humaines, puis protéger la santé des jeunes qui sont précipités en rangs serrés dans les bars à bas prix. Alors que le monde entier fait de la lutte contre l'alcoolisme une constante dans la politique de santé publique, la question est habillement éludée dans tous les débats dans notre pays. L'on se voile la face devant un fléau qui affecte la santé publique, la sécurité routière et la sécurité tout court, puisque la connexion entre les milieux de l'alcool et ceux du banditisme a été mise en évidence à plusieurs reprises. Une résignation collective face à un fléau qui défigure la région et désagrège le tissu social. Personne n'avouera aujourd'hui que la vente de la bière est supérieure à celle de l'eau minérale et que les fonds circulants dans le marché de l'alcool sont supérieurs à ceux engagés dans le développement local. Les bars arrivent dans les bourgades plus vite que les conduites de gaz naturel ou même le réseau d'assainissement. Inutile de souligner qu'en direction des jeunes, l'on offre cent sièges dans les bars pour une seule place dans un centre de formation professionnelle. Entre les deux, il n'y a plus d'alternative, sauf la rue en temps de révolte. Brasseries et « dépôts » sauvages sur les routes, urinoirs à ciel ouvert, et à tout bout de champ, tessons de bouteilles sur les chaussées, le spectacle empire de jour en jour. Pouvoirs publics, comme société civile, assistent avec détachement à cette descente aux enfers. Pourtant, de nombreux signes ont été lancés ces derniers temps, après la destruction dans un climat d'émeute de bars dont les gérants avaient franchi un pas scabreux dans leur activité. Une pétition a circulé récemment à Tizi Ouzou pour demander la fermeture des « lieux de débauche », sans mettre le doigt sur le commerce de l'alcool qui est pourtant intimement lié à celui de la prostitution. L'on ne se scandalise ouvertement que lorsqu'on aperçoit une silhouette féminine dans l'univers des bars et des hôtels interlopes, acceptant que l'on tue à petit feu des milliers de jeunes qui sont passés sans transition des bancs de l'école aux comptoirs des bars, avant d'être jetés en prison ou fracassés sur les routes. Les statistiques ne sont pas officiellement établies mais elles n'échappent pas au commun des mortels. La quasi- totalité des accidents de la route survenant la nuit, engendrant souvent la mort, sont liés à la conduite en état d'ivresse. Le jour, c'est plus d'un accident mortel sur deux qui est dû à l'alcool. Absence de répression Alors que le port de la ceinture de sécurité a été imposé et observé sur les routes, siroter une bière au volant est devenue une pratique courante et admise. Il y a parfois réprobation, mais jamais de répression. Et pour bien marquer qu'il évolue en terrain conquis, l'automobiliste consommateur jette sur la chaussée la bouteille vide ou la canette. Il sait qu'il ne risque de subir un test d'alcoolémie que s'il est extrait mourrant de la carcasse de sa voiture. Mais il est clair que le comateux éthylique ne voit jamais venir le vrai coma clinique. L'hécatombe ne sera jugulée que si les autorités arrivent à mettre le conducteur contrevenant face aux commissariats et non pas face au bloc des urgences chirurgicales. Si la répression de l'alcool au volant demande une logistique qui reste à mettre en place, il reste que des priorités peuvent être prises en charge rapidement, comme la fermeture des débits de boissons ayant pignon sur routes nationales ou autres. Les entrées et sorties des voitures, comme les arrêts intempestifs devant ces boutiques de fortune, engendrent des collisions épisodiques. Il y a aussi mise en danger de la vie d'autrui dès lors qu'on plante un commerce de cette nature à deux mètres des axes routiers. Les clients imbibés d'alcool sont poussés à corps perdus dans le flux de la circulation. Il y a la mort subite, celle enregistrée sur les routes, mais il y a également les dégâts plus sournois causés sur la santé publique. Les rencontres pédagogiques et médicales foisonnent au cours de l'année, mais elles n'ont jusqu'ici jamais inscrit au programme la question de l'alcoolisme. La sensibilisation est nulle et la communication va plutôt dans le sens inverse. L'on encourage sans complexe la surconsommation. Le slogan obligatoire sous d'autres cieux : « Consommez avec modération » est devenu dans notre pays : « Une bière gratuite pour six achetées ». La concurrence entre les bars fait rage à la grande satisfaction des consommateurs qui paient 50 dinars la bouteille, un peu plus chere qu'une canette de soda. C'est le seul commerce où l'offre est toujours à la hauteur de la demande. Aucun acteur politique ne s'est demandé aujourd'hui pourquoi la Kabylie est au bas de l'échelle en matière de consommation des crédits du PNDA et en tête de peloton dans la clientèle des brasseries nationales et des importateurs d'alcool.