Le Mondial de football a mis à nu la situation comique de l'audiovisuel en Algérie : l”incapacité de la chaîne de télévision étatique à s'adapter à l'évolution du monde. L'Etat, qui contrôle entièrement l'ENTV, a donné un coup presque fatidique à son principal instrument de propagande. En « cassant » le marché de la carte de réception satellite du groupe saoudien Art, l'Etat a reconnu, implicitement, que la télévision algérienne est dépassée. Elle n'a non seulement pas pu s'imposer, dans un marché à rude concurrence, mais a échoué dans ce qui ressemblait à des négociations. La culture de la mondialisation, même avec ses tares, n'a pas de prise au boulevard des Martyrs. La réaction curieuse des officiels algériens et leur panique apparente ont, elle, renvoyé une image piteuse de l'Etat. Un Etat tombé bas au point de faire de la réclame, d'une manière consciente, à un groupe privé qui, lui, a fait de belles affaires profitant de l'indigence générale. Ignorait-on à ce point les retombées du marché mondialisé ? Tous les discours sur la globalisation et la nécessité de « s'y adapter », développés par tous les ministres, n'ont servi à rien. L'ignorance a pris le dessus sur la science. Du coup, le bavardage populiste s'est imposé sur la scène nationale et on s'est retrouvé à reprocher aux autres d'avoir été plus malins sur un marché des droits télévisuels, à l'origine, ouvert à toutes les propositions. Parce que fermée, contrôlée et soumise à des mesures policières, l'ENTV n'a pas su trouver son chemin là où seule la compétence a droit de chapitre. Si l'Algérie était un pays où des télévisions libres existaient, le problème ne se serait, probablement, pas posé puisque ces chaînes auraient eu une capacité de négociation plus grande autant sur le plan financier que professionnel. Elles n'auraient eu aucun compte à rendre aux tutelles qui évoluent dans le cercle de l'ombre. Des tutelles qui, aujourd'hui, ont fait de l'ENTV, un média hors temps, un média hors normes, un média archaïque. Un exemple : le site internet de cette chaîne n'est jamais mis à jour. Le fil actualité accuse un retard d'au moins trois jours. Les journaux télévisés, qui ressemblent à des séances de lecture de procès-verbaux, tournent le dos, d'une manière délibérée, aux problèmes des citoyens au point d'ignorer toutes les grèves que connaissent, ces derniers temps, plusieurs secteurs d'activité du pays. Ce laisser-aller et cette censure déguisée témoignent d'un état d'esprit général qui fait qu'aujourd'hui la télévision étatique algérienne est à la traîne du monde arabe et de l'Afrique. Les principaux responsables de l'ENTV, qui sont fort portés sur les voyages, ne semblent pas retenir les leçons de la révolution numérique et culturelle qui secoue la planète. Depuis l'époque d'Arabsat A1, la région arabe a apprivoisé la diffusion télévisée par satellite. Mises à part les chaînes étatiques, aussi médiocres les unes que les autres, les téléspectateurs se sont adaptés aux informations au ton libre et courageux des chaînes comme Al Jazeera, Al Arabiya, Abou Dhabi TV, MBC et LBC. En matière de divertissement, le choix est grand avec les bouquets Rotana et Art ainsi que des chaînes comme Erai, Infinity, Dream, Melody et Dubaï. Al Jazeera a obligé des pays européens à lancer des chaînes d'informations. L'Allemagne a lancé un canal arabe à travers la Deutsche Welle (DW), la Grande-Bretagne envisage de créer un service arabe au niveau de la BBC World, la Russie a mis sur les ondes Russia Today. Les Français, eux, peinent à mettre sur pied un projet de chaîne d'information continue, à mi-chemin entre la CNN et Al Jazeera, financé par le groupe TF1 et France Télévisions. Paris a même sollicité, dans l'indiscrétion, le soutien de pays comme l'Algérie et le Maroc. Les Etats-Unis, qui à un moment donné avaient appelé à fermer Al Jazeera, ont lancé Al Hurra et Al Hurra Iraq, des chaînes orientées vers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord qui s'ajoutent à la radio Sawa, présente depuis plusieurs années dans la région. A Alger, les autorités ont fermé, sans raison, le bureau d'Al Jazeera et soumettent les autres correspondants de télévision à des restrictions multiples et à un contrôle étouffant. La souveraineté nationale, thème récurrent des pouvoirs successifs depuis l'indépendance et qui justifie parfois des mesures contre la presse, a pris, cette fois-ci, un coup dur avec l'affaire de la Coupe du monde. Cela n'a pas fait scandale. C'est un précédent qui sera suivi par d'autres. L'Algérie, qui refuse sans aucun argument valable à ouvrir le champ audiovisuel, négocie son adhésion à l'OMC. Autant dire que la partie ne sera pas facile puisque les arguments irrationnels de fermeture ne résisteront pas à la logique du marché. Au risque de paraître ridicule devant la communauté internationale, l'Algérie ne peut plus revendiquer le libéralisme et verrouiller les espaces de l'expression à l'intérieur. A force de plaider pour des réformes sans permettre à la société d'être libre, on finit, fatalement, à aller droit dans le mur à perdre toute crédibilité.