La population d'El Bayadh se mobilise contre les émirs du Golfe et les Qataris, accusés de dégrader la steppe, de braconner sans contrôle et de causer des accidents. Le tout, avec la bénédiction de l'Etat et des autorités locales. «Comment l'Etat a pu offrir le désert algérien à des émirs qui ne respectent ni l'homme ni l'animal ? Nous demandons le départ immédiat de ces braconniers d'Algérie !» Ahmed Arbi, porte-parole du Mouvement citoyen à Labiodh Sidi Cheik est très en colère. Et il n'est pas le seul. Les habitants de la région d'El Bayadh sont déterminés à mettre fin à la présence des émirs du Golfe et des Qataris, habitués à venir chasser la gazelle et l'outarde dans le désert algérien. Installés à Sid El Hadj Eddine dans la daïra de Brezina, à 80 km au sud de la ville, et à El Amoud dans la daïra de Benoud, à 200km au sud-ouest, les émirs sont entourés d'un dispositif sécuritaire particulier, déployé pour assurer leur tranquillité. «Leur périmètre d'habitation est entouré de trois cercles de sécurité. Le premier est occupé par la Gendarmerie nationale, alors que le deuxième est gardé par les militaires de l'Armée nationale populaire. Quant au troisième cercle, il est constitué de la garde personnelle des émirs. Un hélicoptère survole également le périmètre. Avec ces moyens, il est quasiment impossible de s'approcher de leurs territoires, même de loin», affirme une source sécuritaire. Ils disposent même du réseau téléphonique Qtel (entreprise de télécommunication qatarie). Les émirs chassent sur de grandes étendues. La gendarmerie contraint donc les nomades à quitter leur zone de campement pour ne pas gêner les émirs pendant leurs activités de chasse. Quant aux chasseurs qui ont contesté le braconnage et la présence des Qataris dans leur région, la réponse de la Présidence était claire : «Ce sont les amis de l'Algérie !» Pendant que les citoyens et la société civile d'El Bayadh accusent ces émirs de crime contre la nature - ils les tiennent pour responsables de la disparition de plusieurs espèces animales - les services de wilaya affirment ne pas être concernés par le braconnage. «Tant que les gens du Golfe sont sur notre territoire, notre région sera dévastée. Il n'existe aucun organisme de contrôle pour réguler leur chasse. C'est du braconnage. Même ceux qui sont censés inspecter ces braconniers n'ont pas le droit de s'en mêler. Moi, je me demande aujourd'hui ce qu'ils font ici ! Ils ont un désert chez eux. Qu'ils reproduisent ces espèces animales et qu'ils aillent chasser dans leur pays», s'insurge Moulay Marouf, ancien journaliste et défenseur des droits humains. Mutisme Le chef de cabinet du wali a préféré ne pas s'exprimer sur le sujet mais a promis qu'il nous rappellera. En vain. «La chasse a été interdite à El Bayadh depuis les années 1990. C'est tout ce que je peux vous dire», affirme de son côté Jdid Oukazi, responsable de la Conservation des forêts de la wilaya d'El Bayadh. «21% des 7 769 000 hectares de superficie d'El Bayadh sont considérés comme appartenant au Sud algérien. Nous n'avons même pas de véhicules nous permettant de sortir sur le terrain. Nous ne possédons toujours pas d'armes pour faire face aux braconniers qui, eux, sont armés. Nous voulons par ailleurs créer des brigades antibraconnage, mais nous attendons l'accord pour pouvoir le faire», explique le chef de service de protection des forêts qui n'a pas donné plus de détails sur l'affaire du braconnage. Un Mouvement citoyen, créé en 2001 dans le quartier contestataire de Ksar El Gherb, à Labiodh Sidi Cheikh (120 km à l'ouest d'El Bayadh), fait actuellement du braconnage sa priorité de lutte. «Les Qataris sont ici parce qu'ils ont carte blanche de l'Etat. Ils ont toute la liberté d'agir sans loi et sans limites. Ils ont même engagé un proxénète de Ghardaïa pour leur procurer des femmes. Ils passent tranquillement leurs soirées, arrosées, à l'abri des regards. Ici, ils ont à la fois le plaisir de la chasse et celui de la vie», s'emporte un groupe de militants du Mouvement citoyen. Ahmed Sbeyeb, ancien employé chez les émirs, témoigne du comportement de ces derniers dans leur quartier. «Je les ai rencontrés à plusieurs reprises, car je leur vendais des plantes locales. Ces gens ne respectent ni leurs employés, ni même les habitants locaux. Quand vous vous révoltez, ils vous disent qu'ils sont propriétaires du terrain !» Selon nos sources, les émirs ont également ouvert des réserves d'outardes dans la région. Les habitants évoquent même la présence de Saoudiens à Oued Namous, à Béchar, et de Koweïtiens à Laghouat. Selon des témoins oculaires travaillant à l'aéroport, une piste d'atterrissage a été réservée aux Emiratis et aux Qataris. Mépris «Quel est l'intérêt de cet investissement ? Nous n'avons vu aucun résultat jusqu'à aujourd'hui !» s'emporte Ahmed Sbeyeb. «Ils emploient des gens de diverses nationalités, dont des Pakistanais, des Indiens, des Algériens et beaucoup d'Egyptiens qu'ils considèrent comme des esclaves. Leurs véhicules roulent tellement vite qu'ils causent des accidents à nos gendarmes qui, eux, ont des véhicules moins sophistiqués. Des accidents ont eu lieu auparavant, causant la mort de certains gendarmes qui ont été abandonnés par les Qataris sur la route. Qu'ils les chassent d'ici, sinon nous nous en chargerons», menace Mokhtar Ilamani, membre du Mouvement citoyen. Pour les associations de protection de l'environnement, le constat et les revendications sont les mêmes. «La steppe est dégradée. Nous avons demandé des informations sur les animaux en voie de disparition que ces émirs exportent chez eux. Les autorités algériennes ont refusé de répondre, au motif d'un accord bilatéral et confidentiel. Ces émirs étaient en Libye pour les mêmes raisons avant la chute d'El Gueddafi. Actuellement, c'est l'Algérie qu'ils ciblent», affirme Menad Chikh, président de l'association Hassi Labyedh pour la protection de la steppe et de l'environnement. Il a été impossible de rejoindre le camp des Qataris à Sid El Hadj Eddine, car un mouvement de protestation a bloqué la route de Brezina pendant plusieurs jours. Basta Pour le bureau de la LADDH d'El Bayadh, il n'est pas question que le braconnage continue. Il dénonce l'implication de l'Etat algérien dans cette affaire. «C'est un massacre contre la nature. Les Qataris sont plus sécurisés que le peuple algérien. C'est la plus haute sphère de l'Etat qui leur a ouvert les portes. La preuve, c'est que la gendarmerie, la wilaya et toutes les autorités sont mobilisées pour que leur séjour se passe au mieux. Nous dénonçons l'assassinat sauvage de nos animaux et nous appelons les autorités algériennes à prendre les mesures nécessaires pour arrêter ce massacre», affirme Hassan Bouras, président du bureau de la LADDH à El Bayadh. «Deux mille outardes ont été libérées par les émiratis dans la nature. Certaines sont récupérées par la population, les autres sont chassées par les loups, constate une source sécuritaire. Pourquoi déboursent-ils toute cette fortune pour rien ? C'est une question à laquelle personne ne peut répondre pour l'instant. Nous n'aurons la réponse que dans plusieurs années.»