-Mis à part le stress, les agressions sonores et invectives, quel est l'impact de l'engorgement des routes sur votre quotidien en tant qu'employé ou chef d'entreprise ? Le premier impact est celui de la productivité. Le temps «inutile» passé dans les embouteillages allonge les délais de production et de livraison, y compris dans nos activités de prestations de services. Compte tenu des aléas et du temps des transports routiers, les entreprises sont contraintes de prendre des marges de sécurité sur les temps qui finissent par peser sur la productivité et donc la rentabilité. Mais les embouteillages ont aussi un impact réel sur notre quotidien et les prix : ils influent non seulement sur notre temps de trajet pour se rendre à notre travail, le niveau d'essence consommé mais également le prix des biens et des services que nous achetons. -Quel est l'impact sur le fonctionnement des entreprises en Algérie ? Est-ce que vous pensez que cela les empêche de consacrer leur énergie à trouver de nouveaux marchés, améliorer la qualité de leurs produits ou services, recruter, former, développer les compétences de leurs salariés, innover ? Le fonctionnement de l'économie est bien évidemment perturbé par cette situation. Elle contraint les entreprises à organiser les agendas et l'ordonnancement des opérations en fonction de cette contrainte et non pas seulement en fonction de l'efficacité et/ou du moment le plus opportun.L'engorgement routier impacte directement l'organisation et l'allocation des ressources humaines. Et, en effet, beaucoup d'énergie est gaspillée dans cette gestion contrainte au détriment du développement commercial, d'une meilleure relation client, de formations efficientes et optimisées dans le temps et l'espace géographique. Une réunion, un rendez-vous d'affaires, une session d'information ou de formation prennent souvent le double du temps nécessaire à cause des contraintes de transport. Le développement des compétences, l'innovation passent par des échanges et il est dommageable que cela soit contrarié par la saturation des moyens de transport. -Est-ce que cela a un impact sur les possibilités d'embauche des entreprises ? Peut-on penser que certains employés renoncent à travailler dans des régions où les conditions de circulation sont difficiles ? Clairement oui, et ce, pour les deux parties : employeurs et employés. Les entreprises sont réticentes à employer des salariés qui vont être éloignés du lieu de travail ou prisonniers d'un flux de circulation sujet à des embouteillages systématiques. Les aléas de présence, l'organisation des plannings deviennent alors trop compliqués à gérer. Les employés eux-mêmes sont enclins à renoncer à des emplois qui leur imposent des conditions de transport soit trop aléatoires soit qui nécessitent des horaires incompatibles avec leur vie de famille voire le simple respect d'une amplitude raisonnable. On ne peut raisonnablement passer trop de temps dans les transports ou être contraint à des horaires fortement décalés. Nous avons clairement vu des employés de talent devoir renoncer à des postes qui leur étaient proposés mais qui s'avéraient trop contraignants du point de vue des déplacements routiers. -A combien estimez-vous le temps perdu (nombre d'heures) par jour dans les embouteillages ? Pouvez-vous nous donner une idée de l'impact sur votre rendement en tant qu'employé, ou alors vos résultats en tant que chef d'entreprise ? Les situations sont bien évidemment très différentes selon les catégories d'employés ou les déplacements réalisés. A titre de comparaison, une étude récente d'un cabinet anglais (Center for Economics and Business Research), a calculé que les conducteurs de Paris passent l'équivalent de plus de huit jours de travail par an, soit 58 heures dans les embouteillages. Cette congestion automobile représenterait une perte de plusieurs milliards d'euros pour l'économie française. Si on applique ce raisonnement à l'Algérie, on peut raisonnablement tabler sur des chiffres et des impacts comparables. En cumul, les automobilistes d'Alger et de sa périphérie passent également plusieurs dizaines de jours par an dans les embouteillages et les impacts se chiffrent en plusieurs milliards de dinars de pertes pour l'économie algérienne. Quand vous appliquez cela à une entreprise, vous avez immédiatement la lecture de l'impact sur le rendement. Ces embouteillages pèsent à la fois sur les déplacements des personnes, mais également renchérissent le coût des marchandises et des services. Le surplus de consommation de carburant vient directement impacter le compte de résultat des entreprises. Le manque à gagner en productivité peut être estimé entre 3 et 5 %. -Est-ce que vous pensez qu'il est inutile d'investir dans une qualité de vie au travail si, une fois dans leur voiture, les employés se trouvent confrontés au stress que provoquent des conditions de circulation de plus en plus difficiles? Non, je ne pense pas qu'il soit inutile d'investir dans la qualité de vie au travail. Je crois au contraire que c'est encore plus nécessaire, car le stress n'est jamais une source de productivité. Par contre, les entreprises ne peuvent prendre seules en charge ce sujet. Elles ne peuvent pas en supporter toutes les conséquences et notamment l'impact financier. Car cela a un coût qui devient croissant à mesure que l'engorgement se propage. L'importance de fluidifier et faciliter la circulation des personnes et des biens sur le réseau routier est un sujet d'intérêt général. Il s'agit là d'une clé pour dynamiser et stabiliser l'économie. -Les moyens de transports alternatifs à la voiture disponibles en Algérie peuvent-ils répondre à l'ensemble des besoins en mobilité, ou alors pensez-vous qu'il est indispensable de se déplacer en voiture ? Veuillez justifier votre réponse A mon sens, le sujet des transports alternatifs recouvre deux phénomènes : celui des moyens disponibles et celui de la culture. Sur l'offre disponible — et même si l'on doit souligner les efforts accomplis — beaucoup reste encore à faire et notamment dans l'interconnexion et le maillage. Il ne suffit pas de créer des lignes mais il faut aussi les interconnecter. Il faut également prévoir aux périphéries des solutions de parking suffisantes en volume et sûres pour permettre au plus grand nombre d'accéder à ces transports alternatifs. En investissant dans ces solutions et ces infrastructures, on pourra limiter l'utilisation de la voiture aux seuls déplacements complexes, plus lointains ou indispensables du point de vue de la flexibilité. Mais tout cela n'est possible qu'avec un changement culturel. Les citoyens algériens doivent changer leur regard sur les modes de déplacement et ne pas considérer la voiture comme le seul ou le meilleur moyen de transport. Pour changer ces comportements, il faudra que des efforts soient réalisés pour proposer des offres alternatives modernes, sûres, fiables et de capacité suffisante. Comment abandonner l'utilisation de votre voiture si vous n'avez aucune garantie sur vos horaires de départ et d'arrivée, de trouver de la place dans un confort suffisant ? -Est-ce que l'état des routes et les embouteillages conditionnent vos déplacements et horaires de déplacement ? Est-ce que certaines régions sont plus accessibles que d'autres ? Je vous réponds sans le moindre doute oui, cela conditionne nos déplacements et détermine les horaires de déplacement. Sur votre second point, il est évident que certaines régions sont plus accessibles en raison de l'infrastructure et de la densité de population. Mais, malheureusement, le sujet se trouve très souvent à la source, au point de départ des déplacements, c'est-à-dire les grands pôles économiques et administratifs et en premier lieu Alger. -Est-ce qu'en tant que client les questions d'accessibilité et de circulation sont fondamentales dans les choix des endroits dans lesquels vous faites des achats ? Pensez-vous que certains commerces ou entreprises sont menacés voir obligés de changer de lieu d'implantation à cause des difficultés pour les clients d'y accéder ? Bien sûr que cela conditionne nos choix. A offre équivalente en termes de prix, de produits disponibles, … l'accessibilité est un atout différenciant et procure un avantage concurrentiel clair ! On peut donc craindre des conséquences sur la pérennité de certaines entreprises ou du moins de certaines localisations. -Selon vous, quelle est la principale cause de cela. Est-ce la saturation de la capitale, le parc automobile ou alors les barrages des services de sécurité et les travaux sur les routes et autoroutes ? Beaucoup de ces causes ont existé et continuent de perdurer. Le parc automobile s'améliore, mais dans le même temps il augmente fortement et sollicite davantage les infrastructures ; les travaux jouent à court terme dans le ralentissement mais sur le moyen/long termes, ils amènent de la fluidité grâce aux améliorations apportées. Et reconnaissons que les barrages se sont allégés et sont mieux gérés. Le problème principal est donc bien la saturation, pour ne pas dire la thrombose de la circulation automobile à Alger. C'est donc ce sujet qu'il faut traiter en priorité. -Quelles solutions préconisez-vous pour désengorger les routes ? Il faudra sans doute une pluralité de solutions. Combiner des solutions de court terme, mais dont l'efficacité est assez limitée, et des solutions plus à moyen long terme qui auront des impacts forts mais qui nécessitent des investissements conséquents. Ce sont les infrastructures et l'offre globale et diversifiée de transport dont on parle ici. Il faut donc continuer à investir dans le réseau, mais aussi développer les autres moyens tels que le ferroviaire, le transport routier collectif et en site propre et même l'aérien. Certaines activités pourraient également être déplacées pour permettre de limiter les transports de marchandises dans les zones urbaines et administratives. Enfin, des solutions plus modestes telles que des mesures incitatives pour le covoiturage peuvent être lancées malgré les réticences culturelles. -Que pensez-vous des infrastructures de communication modernes et des applications TIC intelligentes en tant que solutions ? C'est le complément indispensable aux investissements en infrastructures de transport. Il faut que le télétravail, les téléconférences, le multimédia soient plus largement favorisés et déployés. Les technologies existent et sont de plus en plus accessibles pour peu que les infrastructures de télécommunication et de réseau suivent. C'est une des priorités de l'économie algérienne : faire circuler les données, l'information et les savoirs plus que les personnes !