Nous sommes à la croisée des chemins, à la veille des prises de décisions qui vont bouleverser les paysages socio-économiques du pays pour de longues périodes historiques, d'une manière probablement irréversible. Il est donc vital d'être vigilant sur la nature des choix. Toutes les composantes de la société sont interpellées. Ce qui nous intéresse dans le présent contexte, c'est le sort réservé à nos entreprises de production de biens et de services. Gérer une entreprise, c'est mettre tout en œuvre d'un point de vue management interne pour qu'elle se positionne parmi les meilleures dans son domaine d'activité. Par ailleurs, il ne faut nullement sous-estimer les relations publiques, les efforts de coopétition (coopérer avec la compétition) et toutes sortes d'actions pour peser sur les choix des décideurs publics en faveur de l'économie nationale, des citoyens et des entreprises. Il y a de nombreux défis présents et futurs auxquels font face nos entreprises. Le climat des affaires, la dynamique de la compétition mondiale qui ne laisse aucun répit aux entités défaillantes et l'inévitable accélération de l'ouverture de notre économie (Union européenne et OMC dans le futur). Il faut donc un état de préparation des plus rigoureux. Les entreprises algériennes sont-elles prêtes à affronter ces risques ? Sont-elles en train de s'améliorer au point de ne pas paniquer et d'être sereines face à un avenir qui semble tarder à se dessiner ? Nous avons un tissu de quelques 680 000 entreprises. Combien sont déjà dans une situation qui permette de résister à une plus rude intensification de la concurrence ? Que peuvent faire les pouvoirs publics pour les aider à bien se défendre ou, mieux encore, à gagner les futures batailles concurrentielles ? Ou seront-nous condamnés à garder nos yeux rivés sur les indices de la production et des prix pétroliers ? Quelques éléments de ces séries d'interrogations seront brièvement analysés. Les facteurs-clés de succès Mettons de côté les facteurs de l'environnement national qui induisent les nombreuses incertitudes pour nos entreprises. Concentrons-nous sur la concurrence. Que font les meilleures entreprises mondiales ? Pourquoi arrivent-elles à nous battre facilement ? Que peut-on faire pour les contrecarrer ? Bien sûr qu'elles sont entourées de superbes universités, d'administrations publiques expertes, de produits bancaires adaptés, d'abondance du foncier, etc. Nous avons beaucoup élaboré sur ces questions et nous allons les reprendre ultérieurement. Mais que font ces entreprises en interne ? Celui qui dirait beaucoup de choses serait proche de la réalité. Mais il y a toujours des priorités, des activités auxquelles on accorde plus de temps, de ressources et de pouvoir. C'est ce que l'on appelle les facteurs-clés de succès. Ils dépendent parfois de la nature du secteur d'activité. Mais les plus universels concernent le développement et l'utilisation de l'intelligence humaine, l'information et l'innovation (qui cible les besoins clients). Mais c'est précisément dans ces domaines que les faiblesses sont les plus criantes dans nos entreprises. Les experts qui sont au fait des réalités de nos entreprises connaissent bien cette problématique. Le développement du potentiel humain, surtout l'aspect intelligence, et son degré d'utilisation, constitue l'essence de la compétitivité des entreprises internationales. Nous avons des entreprises qui accueillent des ressources humaines insuffisamment formées. Par la suite, elles consacrent neuf fois moins de ressources pour les recyclages que les entités concurrentes. Le tort est donc partagé entre les institutions publiques qui fournissent un produit moins performant et les entreprises algériennes qui consacrent peu, sinon pour la vaste majorité rien, pour le mettre à niveau. Les sortants des universités et centres de formation professionnelle acquièrent une base, un niveau insuffisant mais perfectible. C'est ce qui explique pourquoi avec des formations complémentaires ils arrivent à s'accrocher pour obtenir des diplômes étrangers ou des postes d'emplois productifs ailleurs. Le maître-mot est : recyclages, perfectionnements, formations continues, mise à niveau et le reste. Mais ces pratiques sont très peu prisées par nos entreprises. Par ailleurs, elles investissent également très peu dans l'information. Que l'on parle de veille stratégique, d'intelligence économique, de suivis des marchés (il y a beaucoup de recoupements entre ces concepts). L'insuffisance individuelle et collective d'investissement dans ces domaines est criante. Certes, on n'a pas de schéma national d'intelligence économique et des bases de données. Mais les entreprises auraient dû être plus visionnaires que l'Etat. Mais il n'en est rien. 90% de nos entreprises sont aussi myopes que les pouvoirs publics. Alors que faire ? De surcroît, nos entreprises ont une faille supplémentaire choquante : l'absence de collaboration entre entités compétitives. Dans beaucoup de pays de la rive Méditerranée, les entreprises concurrentes, à travers des contrats d'entraides ou des associations de Benchmarking, collaborent dans certains domaines d'intérêt commun et sont compétitifs dans d'autres. Deux entreprises d'agroalimentaires peuvent monter ensemble un centre de recherche et développement ou un réseau de transport pour améliorer la structure des coûts. Par ailleurs, elles peuvent s'échanger de bonnes pratiques. Celle qui gère mieux ses stocks permet à une entreprise de venir l'analyser pour transposer le modèle chez elle, à condition que l'autre partage son savoir-faire dans le domaine des études de marché, par exemple. Elles peuvent collaborer à travers des chambres de commerce ou de métiers. La culture économique consiste à dire que le concurrent est un adversaire qu'il faut battre. On collabore avec lui dans un jeu gagnant-gagnant. Chez nous, le concurrent est considéré comme un ennemi qu'il faut abattre. La situation n'est pas totalement rose ailleurs et noire chez nous. Quelques entreprises concurrentes collaborent chez nous ; notamment à travers des associations pour peser sur les décisions publiques. Il y a des entreprises à l'étranger qui mettent des bâtons dans les roues des concurrents. Mais dans l'ensemble, l'image développée ailleurs demeure valide. Les entreprises algériennes résistent uniquement parce que nous avons les coûts salariaux les plus bas de la rive méditerranéenne et nous disposons des prix de l'énergie parmi les plus bas au monde. Alors, en plus de la mise à niveau qui a ses avantages et ses limites, nous préconisons un programme beaucoup plus ambitieux qui commence par les grandes et moyennes entreprises pour ruisseler vers les plus petites. Son but serait de s'attaquer à ces faiblesses (stratégiques) pour libérer les entreprises algériennes de ces méfaits. Sans cela, nous risquons de perdre plus de la moitié de nos entreprises présentes dans les dix prochaines années. On peut l'appeler le programme «contrat de compétitivité». Nous allons en développer ses facettes ultérieurement.