Que cache le flottement actuel ? Comment la base des soutiens de Bouteflika survit-elle à l'indécision des centres du pouvoir ? Décryptage. «On parle du président Bouteflika, d'une élection présidentielle, on ne peut pas prendre les choses à la légère.» Affligé, Abdelghani Touhami cache mal sa colère. L'animateur général de la campagne du candidat Bouteflika en 1999, 2004 et 2009, et coordinateur national des comités de soutien, n'arrive pas à comprendre ce qu'il qualifie de «forcing» autour de l'annonce éventuelle de la candidature de son ancien patron, Abdelaziz Bouteflika, Président sortant. «Dès que j'ai eu vent de cette annonce de retrait du formulaire de candidature du Président auprès du ministère de l'Intérieur, j'ai immédiatement compris qu'il s'agissait d'un leurre, d'un coup de force», explique-t-il à El Watan 2014, une heure avant le démenti de Tayeb Belaïz, le dimanche 2 février. «Car Bouteflika n'a absolument besoin de personne pour parler en son nom, il n'a besoin de personne pour le porter candidat.» Pourtant l'information a fait le tour d'Alger et de la Toile, relançant les supputations sur la volonté de Bouteflika de succéder à lui-même, créant un frémissement nerveux dans certains QG de campagne. Comment les choses se sont-elles emballées au point de voir, pendant quelques heures, s'incarner l'officialisation de la candidature de Bouteflika ? D'où serait parti le coup ? A la Présidence, un proche du chef de l'Etat se montre catégorique : «Les formulaires ont été retirés par des membres des comités de soutien sur instruction du concerné» et le FLN a «été destinataire de quelque 100 000 imprimés». Mais déjà, Touhami balaie l'argument d'un revers de la main : «J'en serais le premier informé. Par ailleurs, la coordination est un conglomérat d'associations et d'ONG dont certaines sont frappées d'interdiction d'exercice à cause des problèmes organiques qu'elles traversent, notamment l'Association des zaouïas et l'Union nationale des zaouïas, très puissantes au sein de la coordination. Or aujourd'hui, elles ne peuvent même pas tenir leur congrès faute d'autorisation du ministère de l'Intérieur, suite à des irrégularités administratives.» 4 millions de signatures Ahmed Kada, chargé de la communication et de l'information à la coordination des comités de soutien, qui se positionne pour un quatrième mandat de Bouteflika, nie quant à lui avoir un lien avec cette affaire : «Notre unique priorité est de rassembler quatre millions de signatures pour demander au président Bouteflika de se représenter à un quatrième mandat.» D'ailleurs, «cette coordination des comités de soutien n'a même pas pu obtenir d'autorisation pour organiser un meeting, mercredi dernier», révèle une source interne. La fuite de Ghoul Une autre piste ? «Les petits partis agglutinés autour de TAJ et de Amar Ghoul avaient retiré des formulaires de candidature et ont fait passer le message de les garder vierges en attendant l'annonce officielle du président Bouteflika», confie Abdelghani Touhami. D'ailleurs, sept partis du groupe des vingt-six ayant été annoncé par Ghoul se sont désolidarisés de la démarche du ministre. «J'ai eu des contacts avec le groupe des 26, révèle un président de parti. Mais je n'ai pas pris encore de décision. D'autant que je suis moi-même candidat. Mais notre parti n'est pas pour un quatrième mandat. Nous estimons que dans l'état de santé actuel du chef de l'Etat, ce ne serait pas rendre service au pays.» Ce qui n'a pas empêché Ghoul et ses relais de parler d'une forte adhésion. «On fait fuiter l'information pour crédibiliser une véritable candidature du Président sortant, mais en réalité, on ne peut forcer la main à quelqu'un comme Bouteflika», assène encore Touhami. Qui a fait fuiter l'information ? Panique «Le silence d'El Mouradia a créé la panique, les relais traditionnels du Président, ses supporters et ses clients ont peur de perdre leurs bases, qui posent trop de questions sur l'absence de message clair de Bouteflika et même de son entourage», indique un cadre du FLN, qui dit se battre chaque jour contre les tentations de la base d'aller voir ailleurs. «Chez Benflis, chez Belkhadem... ailleurs quoi !» «Dans ce conglomérat de pseudo-soutiens, tout le monde attend le fameux coup de téléphone d'El Mouradia qui tarde tellement», résume un membre d'une association affiliée au comité de soutien d'Alger. Le climat d'abattement est le même au sortir d'une réunion des instances locales à la périphérie ouest d'Alger, ce week-end, quand des membres du bureau politique du FLN désespèrent, en s'égosillant au microphone grésillant, de l'adhésion de leur base. «Ils – ces proches de Saadani – quémandent, à peine convaincus eux-mêmes, notre pleine adhésion à l'appel à un quatrième mandat», témoigne un membre de la direction d'une kasma FLN. «Mais nous, face à notre base, à nos proches et à nos amis de quartier, qu'est-ce qu'on va expliquer ? Qu'on doit rassembler 1,2 million de signatures de citoyens et 10 000 d'élus pour la candidature d'un Président qui ne dit rien ? C'est invivable !» Signatures Un autre cador du FLN, responsable d'une zone à Alger-Est, insiste : «OK, je vais recueillir les signatures en tapant à toutes les portes. Mais qu'est-ce que je ferai de toutes ses signatures au profit d'un candidat qui peut-être va renoncer ?» «Nous suivons Saadani parce que nous somme attachés à l'unité du parti qui nous est cher, mais va-t-on mobiliser tout l'appareil du FLN pour un candidat qui ne veut pas, pour l'instant, se prononcer ?», poursuit notre vétéran, avant de nous demander carrément un contact au QG de Benflis, ou le portable personnel de Abderrahmane Belayat (coordinateur du parti, opposant à Saadani), ou de Abdelkrim Abada (chef de file des redresseurs anti-Belkhadem et anti-Saadani)... Le silence du palais «Tant que les téléphones des responsables actuels du parti n'ont pas sonné, tant qu'un type de la Présidence n'est pas au bout du fil pour transmettre les ‘‘awamer'' (les ordres), nos vieux patrons du bureau politique ou du comité central savent qu'ils n'auront aucune crédibilité.» «Nous ne faisons plus confiance ni à Belayat ni à Saadani, tempête un cadre du vieux parti. Nous sommes démunis face à la base qui attend un message clair : qui est ‘‘el waguef'' (l'homme debout) ? Il nous faut un signal clair d'en haut, la base est livrée à elle-même, c'est l'affolement.» Un jeune cadre du FLN confie aussi, désemparé : «On soutient Bouteflika pour la forme et la politesse, mais après ? Si un signal clair vient des militaires ou de la Présidence, la donne va changer !» «Et tant que le roi n'est pas mort, et bien vive le roi», poursuit le jeune FLN. Pays otage Que cache cette cacophonie ? «Un manque de sérénité dans les hautes sphères de la décision», répond poliment un ancien ministre. Plus direct, un responsable de l'Etat confie : «Il s'agit plutôt d'un déficit de consensus, ou peut-être d'un consensus dont les termes n'ont pas été encore communiqués aux différents démembrements de l'Etat et de ses satellites, FLN et Saadani compris.» Mais qui fabrique ce consensus ? «Bouteflika, affaibli ou pas, aime à faire durer le plaisir de se faire attendre, même quand il s'agit de recevoir des invités de marque. Alors là, pour une telle décision, il prendra tout son temps», reprend l'ancien ministre. «L'autre pôle, le général Mediène (patron du DRS depuis 1990), qui tranche, invariablement, le dernier pour entretenir sa suprématie décisionnelle, garde très secrètement ses options et ne dit rien. Le général Toufik veut juste presser le clan présidentielle pour se décider : ‘‘Alors, il y va ou pas ?' Mais ça va se décider bientôt, sinon ça sera le clash», croit savoir le haut responsable de l'Etat. «Un pays tout entier ne peut rester otage d'autant d'apprentis sorciers.» Et à un élu FLN de conclure : «Qu'est-ce qu'on a à faire d'un quatrième mandat s'il fait brûler tout le pays pour».