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L'opposition de Médiène à un 4e mandat est un écran de fumée
LAHOUARI ADDI. Politologue
Publié dans El Watan le 14 - 02 - 2014

Pour Lahouari Addi, politologue et polémiste reconnu, la «guerre civile» est bien déclarée dans le sérail. Les attaques de Saadani contre le DRS n'étant qu'un épisode d'un affrontement interne pour pérenniser le système.
- Amar Saadani, secrétaire général du FLN, a ouvertement critiqué le général de corps d'armée Mohamed Mediène, dit Toufik, directeur du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Pourquoi ces critiques maintenant ? Existe-t-il un lien avec la prochaine élection présidentielle ?

Avant de répondre à vos questions, il faut rappeler quatre caractéristiques du système de pouvoir algérien. Premièrement, il a sa propre rationalité héritée de l'histoire. Deuxièmement, il est opaque et pour le connaître, il faut analyser les symptômes étalés dans la presse nationale. Troisièmement, l'armée est au cœur de ce système de pouvoir. Quatrièmement, elle interdit aux Algériens de faire de la politique parce qu'elle considère qu'elle divise le peuple. Elle a mis sur pied un service – le DRS – qui régule le champ politique en noyautant les partis, les syndicats, les médias, etc. Mais en interdisant la politique, l'armée se politise et c'est ainsi que des généraux, certains appartenant au DRS, ont été critiques de ce dernier service. La crise couvait depuis des années et elle a éclaté au sein de l'état-major après l'attaque terroriste contre le complexe d'In Amenas (janvier 2013, ndlr). Il y a eu alors un réajustement opéré par l'état-major qui a restructuré le DRS en juin dernier avec la mise à l'écart de Tartag, Fawzi, M'henna, etc. Il a été en somme reproché au DRS d'être plus efficace à surveiller les syndicats autonomes et Ali Yahia Abdennour qu'à protéger les complexes pétroliers.

- Sommes-nous face à une lutte de clans autour de l'élection présidentielle qui déborde sur l'espace public ?

Il n'y a pas eu de lutte de clans, il y a eu un réajustement dans l'organigramme de l'armée. Il faut rappeler que le DRS est un service qui dépend de l'état-major au même titre que la marine, l'aviation, les transmissions, la gendarmerie, etc. La lutte contre la violence islamiste dans les années 1990 avait donné un grand poids politique au DRS qui avait pris de l'ascendant sur l'état-major. Un colonel à la tête d'une unité opérationnelle avait peur d'un lieutenant du DRS, pourtant son subordonné. Il pouvait faire sur lui un rapport l'accusant de sympathie pro-islamiste. Cette situation ne pouvait plus durer parce qu'elle remettait en cause le principe même de hiérarchie des grades sur lequel repose l'armée. Par ailleurs, les officiers de la troupe nourrissaient un ressentiment à l'égard de leurs collègues du DRS quant à leur situation sociale. Un commandant du DRS possède un restaurant à Alger sous le nom de son cousin, il est associé avec son beau-frère dans une affaire import-import, il est propriétaire d'une villa à Blida louée à une entreprise étrangère sous le nom de sa femme... A l'inverse, un colonel qui commande une unité de blindés à Tindouf, vivant de son revenu mensuel, n'a pu faire construire une maison pour sa famille à Bouira que grâce à un prêt du service social du MDN. Les militaires sont des êtres humains comme vous et moi, et ont les qualités et les défauts des personnages des Fables de La Fontaine.

- Est-il juste de conclure que le général de corps d'armée Mohamed Mediène est hostile à un quatrième mandat pour le président Bouteflika après l'avoir soutenu par le passé ?

L'opposition de Médiène à un 4e mandat est un écran de fumée. Bouteflika n'est pas candidat et personne dans la hiérarchie ne soutient sa candidature. Bouteflika attend les instructions pour se porter candidat ou pour déclarer son retrait de la vie politique. C'est une décision qui ne dépend pas de lui.

- Il est dit que Saïd Bouteflika, frère du Président, fait pression pour que le président de la République actuel brigue un quatrième mandat. Quel est l'intérêt de Saïd Bouteflika de garder son frère, malade, au pouvoir ?

Saïd Bouteflika n'a pas l'influence que lui prête la rumeur rapportée par la presse privée. Il ne lui est même pas permis de démentir les mensonges le concernant. Si Bouteflika n'a pas de pouvoir (c'est moins qu'un ¾ de Président), je ne vois pas comment son frère pourrait en avoir. Par ailleurs, les mœurs politiques chez nous font que la candidature du chef de l'Etat n'est pas une affaire de famille.

- Selon vous, pourquoi Bouteflika hésite encore à annoncer sa candidature pour un quatrième mandat présidentiel ou faut-il penser à un retrait de l'actuel chef de l'Etat ?

Bouteflika souhaite se faire réélire parce qu'il veut mourir au pouvoir et avoir des funérailles nationales. Mais la date de son décès dépend de Dieu, qui peut décider qu'il vive encore vingt ans, et la décision de sa reconduction dépend de l'armée.

- Dans le cas du retrait de Bouteflika de la course à la présidentielle, quel serait le candidat défendu par l'état-major de l'armée ? Dans ce cas, les élections seront-elles ouvertes ?

L'armée cherche la stabilité et a peur que le pays ne connaisse le scénario des révoltes arabes. Elle va donner plus d'autonomie aux institutions de l'Etat, elle va se retirer des partis et des médias privés, mais elle restera la source du pouvoir. Je pense qu'elle va désigner un candidat qui assurera le changement dans la continuité. L'armée veut aussi que le pays ait un président qui remplisse les obligations internationales de l'Algérie et qui soit présent sur la scène nationale. Or, depuis 2005, Bouteflika ne s'adresse plus à la nation, ne se déplace pas à l'intérieur du pays, ne voyage pas à l'étranger. Il n'a pas dit un mot sur les graves événements de In Amenas, il ne s'est pas déplacé dans la ville Ali Mendjeli victime d'une violence sociale inimaginable, il ne s'est pas impliqué dans la tragédie que vivent les habitants du M'zab. Il a même été absent lors des deux dernières prières de l'aïd, ce que aucun chef d'Etat musulman ne rate. Depuis 2005, le pays est sans Président et je pense que l'état-major veut un chef d'Etat pour le pays.

- Quels seraient, selon vous, les éventuels successeurs de Bouteflika ?

A mon avis, il y aura soit un comité central du FLN, soit une réunion des cadres de la nation au cours de laquelle Bouteflika fera l'éloge de son bilan, remerciera tous ceux qui ont souhaité sa réélection et invitera le FLN à soutenir «le frère Ali Benflis» appartenant à la génération des généraux qui, en raison de leur âge, n'ont pas participé à la guerre de Libération nationale. Il y a des signes qui indiquent que l'état-major souhaite que Ali Benflis soit élu.

- Le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, qui cumule les postes de chef d'état-major de l'armée et de vice-ministre de la Défense, serait-il le principal soutien de Bouteflika au sein des forces armées ?

Je ne crois pas que le général Gaïd Salah ait une autorité sur l'état-major composé d'officiers ayant une formation universitaire. Il me semble que cette instance fonctionne à la collégialité et je me demande s'il n'y a pas un chef d'état-major formel et un autre réel. Quand vous êtes colonel ou général, vous n'allez pas vous comporter en «coopérant technique». Vous donnez votre point de vue sur la situation du pays. Et celle-ci est très mauvaise.

- Revenons à la polémique provoquée par les déclarations de Amar Saadani contre le directeur du DRS. Comment expliquez-vous le silence du ministère de la Défense nationale après cette «sortie médiatique» ?

Amar Saadani n'aurait jamais donné cette interview s'il n'avait pas les assurances de l'état-major qui l'a choisi pour annoncer que le DRS n'a plus le poids politique qu'il avait. Je pense que l'état-major voulait mettre à la retraite le général Médiène après l'élection présidentielle pour montrer que le nouveau Président a un pouvoir que ses prédécesseurs n'avaient pas. Mais la une du Jeune Indépendant a changé la donne. Ce titre en première page est un titre de début de guerre civile.

- Amar Saadani estime que «la mission du DRS est de protéger le pays. On ne doit pas mêler ce département à des questions civiles». Quelle analyse faites-vous de ce constat ? N'est-il pas curieux que ce soit le FLN, parti-instrument, parti non autonome, qui dénonce cette situation ?

Amar Saadani a répété ce qu'on lui a dit de dire. Je pense que les généraux et les colonels ne sont pas contents de la façon dont le DRS a contrôlé l'Etat en leur nom. Ils constatent comme tout le monde l'inefficacité de l'administration, l'incompétence du personnel choisi par le DRS, la corruption généralisée, etc.

- Par le passé, les partis comme le FFS et le RCD avaient dénoncé l'intervention de «la police politique» dans la vie nationale (Parlement, associations, presse, wilayas...), mais cela n'a jamais soulevé autant de vagues que les critiques de Amar Saadani. Comment expliquer cette situation ?

Le modèle de l'Etat-DRS a atteint ses limites et les militaires ont réagi parce qu'il mettait en danger le régime. L'attaque contre le site pétrolier d'In Amenas et l'affaire Chakib Khelil ont incité l'état-major à faire rentrer le DRS dans les rangs.


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