Cela fait peut-être longtemps que la salle du Théâtre national algérien (TNA) n'a pas connu une telle scène : un public debout qui applaudit pendant plus de dix minutes un spectacle. C'est rassurant. La Korean Fantasy, avec ses couleurs et ses lumières exprimées à travers sept danses, avait de quoi arracher les plus hésitants du siège, ce lundi 12 juin à Alger. Avant, et avec un léger retard, le protocole a prévalu, l'espace de quelques minutes, pour saluer le ministère de la Culture. Un représentant du département de Khalida Toumi a pris la parole pour évoquer « la coopération culturelle » et quitter la salle tout de suite après ! Place aux artistes de la Compagnie nationale de Changgeuk. Dans une salle obscure, La route de soie, premier des sept tableaux, plonge les présents dans une curieuse sérénité. Muni du gayageum, Hwang Byung-ki, 70 ans, est le plus populaire joueur de Corée du Sud de cette cithare de 12 cordes déposée à même le sol. Autant dire que le compositeur Hwang Byung-ki, qui joue également le Sonjo, est une célébrité dans le pays du Matin calme. Son jeu envoûtant raconte, sans aucun mot, l'aspiration des sujets du royaume de Shilla, qui est né au Ier siècle avant Jésus-Christ, à découvrir l'Occident. Durant la dynastie Shilla, les caractères chinois ont été utilisés, pour la première fois, pour écrire le coréen. La danse de la grue de Dongnae a ajouté un peu de chaleur à l'ambiance. Toute en philosophie, cette danse, chorégraphiée par Bae Jung-hye, exprime la quête éperdue des hommes intelligents à vouloir vivre avec la nature, en harmonie. Vêtus de manteaux blancs et de chapeaux noirs, les danseurs donnent l'impression de voler comme les grues de Dongnae, ville connue pour ses fruits de mer. Le spectacle prend des couleurs intenses, rouge, vert, rose, mauve, avec la danse des éventails, parfaite expression de la culture asiatique. Les éventails étaient appréciés par les chamans qui, dans les sociétés traditionnelles, jouissaient de grands pouvoirs pour entrer en communion avec le monde de l'Au-delà et pour guérir les malades. Les mudang, adeptes du chamanisme, étaient fort respectés. D'origine sibérienne, le chamanisme, qui est la plus ancienne religion de Corée, a subi quelques changements au contact avec le confucianisme et le bouddhisme. Avec grâce, les danseuses ont exécuté des mouvements singuliers qui ont émerveillé les présents. Chant d'amour, chorégraphie montée par Kim Hyun-ja, raconte la romance la plus connue de Corée, amour interdit à l'époque féodale. Celle de Mongryong qui tombe sous le charme de Chunhyang, fille d'une courtisane rencontrée au festival de la pleine lune. La love-story remonte à la période Chosun qui, à partir de 1392, a permis à la dynastie Yi de régner sur le pays avant de céder devant les Mandchous. L'histoire, comme Roméo et Juliette de Shakespeare, n'a pas pris de rides. Si la Corée n'est plus une monarchie, les légendaires promenades de la reine sont restituées, avec élégance, dans le Matin dans le jardin royal. Tous les accessoires de la royauté y sont réunis. Quand la reine se promène, le peuple est heureux ! La danseuse Jang Yun-na a, avec une obscure tendresse, rappelé la mélancolie de cet homme qui a attendu, au cœur de la nuit, l'arrivée de sa bien-aimée. Elle n'est pas venue, le vent l'a remplacée. Et comme le vent n'a pas d'amis... La neige de printemps est une danse inspirée d'une œuvre picturale qui date de deux siècles. Les créations ne connaissent pas de frontières. Ni d'âge. L'encens, les fleurs et les lanternes prennent d'assaut la scène pour La prière, dernière danse de la soirée. Tout y est : le rituel des mudang, des totem, des percussions, des acrobaties, des jeux de corps, des habits de festival, des chants... Bref, de l'art brut, de l'art vrai. Les voix de Park Ae-ri et de Nam Sang-il ont emporté les spectateurs sur un nuage de songe. Une danseuse fait sursauter un présent en lui offrant une branche verte, symbole d'une paix retrouvée. Des nœuds blancs, qui tombent presque du ciel et qui symbolisent la haine, sont neutralisés. La densité du spectacle rappelle ce nirvâna jamais atteint. Retour sur terre : les portables qui sonnent dans la salle. Les enfants qui pleurent. Les chuchotements qui font du bruit. Tout cela fait partie de l'univers burlesque d'Alger.