La page sombre de Victor Ianoukovitch a été tournée en Ukraine. Mais le plus dur reste à faire dans un pays d'importance stratégique dans la géopolitique de l'Europe de l'Est et du Caucase. L'Ukraine a enterré, hier, l'ère de Victor Ianoukovitch, destitué, et a ouvert celle provisoire de Olexandre Tourtchinov en sa qualité de président du Parlement. En effet et conformément à la Constitution, le président du Parlement, Olexandre Tourtchinov, un proche de l'opposante Ioulia Timochenko, a été élu hier matin à une très large majorité chef d'Etat par intérim par les députés. Signe que les Ukrainiens veulent rapidement tourner la page sombre de Ianoukovitch, les parlementaires se sont aussi mis d'accord pour former d'ici à demain un gouvernement d'union nationale. De fait, tous les regards se sont tournés vers la pasionaria Mme Ioulia Timochenko, fraîchement libérée de la prison de Kharkov, où elle purgeait une peine de sept ans pour «abus de pouvoir» afin de diriger ce cabinet de transition. Mais l'opposante a poliment décliné la proposition dans un message publié sur le site internet de son parti. «Je vous demande de ne pas envisager ma candidature pour le poste de Premier ministre», a écrit Ioulia Timochenko. Ironie du sort, cette dame au caractère bien trempé et au visage austère avait été condamnée pour avoir signé, en 2009, sans l'aval du gouvernement, des contrats gaziers avec la Russie à un prix jugé pénalisant pour l'Ukraine. Et c'est cette même Russie qui défend aujourd'hui contre vents et marées la «légitimité» de Victor Ianoukovitch, la bête noire de Ioulia Timochenko. Mais rien ne dit que Moscou ne lâchera pas le Président en fuite, ayant perdu le soutien même de son parti et ferait dans le même temps les yeux doux à la belle Ioulia Timochenko. Celle-ci rêverait peut-être de prendre le fauteuil de celui qui l'a mise en prison. En déclinant le poste de Premier ministre, elle viserait à être présidente. Cette ex-égérie de la révolution Orange a déjà commencé son lobbying pour gagner des soutiens. Elle a ainsi fait savoir qu'elle rencontrerait «très prochainement» la chancelière allemande Angela Merkel pour sans doute lui demander la conduite à tenir. L'ours blanc en embuscade «Bienvenue dans la liberté», lui a lancé la chancelière, qui lui a également proposé de venir se soigner en Allemagne. Un signe qui ne trompe pas sur la volonté de Berlin de peser sur l'avenir de l'Ukraine au même titre que Moscou. Le fait est que la chancellerie allemande et le président russe ont joint hier leurs voix pour plaider la cause d'une Ukraine «unie» au même titre que les autres capitales occidentales. Mme Merkel et Vladimir Poutine sont tombés d'accord sur le fait que «l'Ukraine doit se doter rapidement d'un gouvernement en mesure d'agir et que l'intégrité territoriale doit être préservée», selon la chancellerie allemande. Les Etats-Unis n'en pensent pas moins. «Une partition de l'Ukraine ou le retour de la violence ne sont dans l'intérêt ni de l'Ukraine, ni de la Russie, ni de l'UE ou des Etats-Unis», a renchéri la Maison-Blanche. Ces craintes sont nées de la menace d'implosion du pays que fait peser l'extrême tension de ces derniers jours, ponctuée par près d'une centaine victimes. La communauté internationale a en outre clairement fait part de ses craintes du fait que la crise creuse le fossé entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone. Cette tendance a elle-même été aggravée par le bras de fer auquel se sont livrées ces derniers mois la Russie et l'Union européenne autour du sort de ce pays charnière, que les deux entités souhaitent attirer au maximum dans leur aire d'influence. Hier a Sébastopol, ville du sud de l'Ukraine, qui héberge la flotte russe de la mer Noire, quelque 10 000 personnes se sont rassemblées pour dénoncer, à l'appel de mouvements pro-russes, «les fascistes (qui) ont pris le pouvoir à Kiev». «Le nouveau pouvoir veut priver les Ukrainiens russophones de leurs droits et de leur citoyenneté», affirmaient les organisateurs. Sans doute que ce mouvement populaire est inspiré par Moscou en guise d'avertissement à l'Occident et au nouveau pouvoir de ne pas tenter le diable. Comme quoi l'ours blanc reste toujours en embuscade.