Passée l'euphorie de la destitution de l'ancien président Victor Ianoukovitch, poursuivi pour «crimes massifs», l'opposition ukrainienne fait maintenant face à une situation chaotique quasi insoluble. Et pour cause, l'économie du pays est au «bord d'un défaut de paiement», comme l'a reconnu, dimanche, le Président par intérim. Les nouvelles autorités ont besoin d'environ 35 milliards de dollars pour gérer cette période de transition, a estimé le ministre des Finances par intérim, Iouri Kolobov.Nous avons demandé à nos partenaires occidentaux l'octroi d'un crédit d'ici une semaine ou deux et suggéré l'organisation d'une grande conférence internationale de donateurs avec l'Union européenne, les Etats-Unis, le FMI et d'autres organisations financières internationales», a ajouté le ministre des Finances par intérim, Iouri Kolobov. Mais en attendant que les Occidentaux daignent mettre la main à la poche, les regards se sont forcément tournés vers la Russie voisine, qui a promis en novembre dernier la bagatelle de 15 milliards de dollars mais n'en a jusque-là débloqué que 3. C'est que Moscou ne voit pas d'un bon œil les nouveaux maîtres de Kiev. «Si on considère que des gens qui se baladent dans Kiev avec des masques noirs et des kalachnikovs sont le gouvernement, alors il nous sera difficile de travailler avec un tel gouvernement», a lancé hier le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev. Une déclaration qui sonne comme un tir de sommation indiquant que Moscou n'est pas prête à reconnaître tout de suite la «légitimité» du nouveau régime. Pis encore, le «big brother» d'hier n'est pas non plus disposé à donner un chèque en blanc à de nouvelles autorités qui sont, à ses yeux, tournés vers l'Europe. «Il me semble que c'est une aberration de considérer comme légitime ce qui est en fait le résultat d'une révolte», a commenté M. Medvedev dans une allusion évidente au soutien européen. C'est dire que Moscou n'a pas l'intention de renflouer l'Ukraine si elle n'est pas sûre de pouvoir contrôler la transition. Preuve en est qu'elle a rappelé, dimanche, son ambassadeur en Ukraine et menacé d'augmenter les droits de douanes sur les importations en provenance d'Ukraine si Kiev se rapprochait de l'UE. Pour autant, le Premier ministre russe a affirmé, hier, que son pays respectera tous les accords signés avec l'Ukraine, y compris dans le domaine gazier. Les doutes de Moscou «Les accords contraignants seront honorés. Nous ne coopérons pas avec des groupes concrets d'individus ni avec des personnes concrètes, mais avec des Etats», a affirmé M. Medvedev, ajoutant que tous les documents signés doivent être appliqués. «Mais le problème est que toutes les décisions ont été adoptées pour un délai bien déterminé et nous ne savons pas ce qui se passera dans le secteur gazier à l'issue de la période pour laquelle les réductions ont été consenties», a-t-il poursuivi.«C'est là une question qu'il faudra évoquer avec les responsables des compagnies ukrainiennes et avec le gouvernement, si jamais ce dernier se formait en Ukraine», a-t-il conclu. Il faut rappeler que Moscou a réduit, le 17 décembre dernier, d'un tiers le prix du gaz russe pour l'Ukraine en vertu d'un accord signé entre les deux pays au terme d'une réunion de la commission intergouvernementale russo-ukrainienne. Le nouveau prix du gaz sera en vigueur jusqu'en 2019. Autrement dit, Moscou est fâchée mais ne ferme pas la porte à un éventuel compromis. Face à cette grave menace d'étouffement économique, la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, est arrivée hier à Kiev pour évaluer les besoins urgents de ce pays. De leur côté, les Etats-Unis ont dépêché le n°2 de la diplomatie américaine, William Burns, attendu aujourd'hui à Kiev pour soutenir le nouveau régime ukrainien. «A Kiev, M. Burns aura des entretiens avec les dirigeants ukrainiens, les milieux d'affaires et la société civile sur le soutien des Etats-Unis aux efforts de l'Ukraine pour s'assurer un avenir sans heurts, démocratique, pour le plus grand nombre et prospère», selon un communiqué du département d'Etat. Les Etats-Unis plaident pour que Kiev prenne «des mesures immédiates pour entreprendre les réformes nécessaires au rétablissement de la bonne santé économique et politique de l'Ukraine». M. Burns sera accompagné de représentants du Trésor américain, lesquels «travailleront de concert avec des partenaires comme l'UE et le FMI pour discuter d'un soutien financier nécessaire» à l'Ukraine. Ce chassé-croisé de responsables occidentaux et les déclarations des Russes ne sont évidemment pas pour les beaux yeux des Ukrainiens. Ce pays-charnière est l'une des régions du monde qui ravive la flamme de la guerre froide en raison des intérêts vitaux et stratégiques de Washington et Moscou. Rallier Kiev à son camp constituerait un atout non négligeable pour les Russes et les Américains.