42 dinars/jour et par enfant assisté, c'est juste ce que peut consentir l'Etat algérien à ses pupilles. Beaucoup a été dit sur les enfants «nés sous X», mais peu de choses ont été concrétisées pour leur bien-être. Pourtant, des sommes colossales viennent régulièrement se greffer aux budgets faramineux consentis au profit des centres d'accueil et des directions de l'action sociale (DAS) au niveau de chaque wilaya, mais dont la gestion demeure aléatoire. Cette réalité amère est fidèlement relatée dans le rapport accablant, adressé à la commission nationale consultative de promotion et protection des droits de l'homme (CNCPPDH) en date du 25 novembre 2013, par Mohamed-Cherif Zerguine, un fervent militant pour l'enfance abandonnée. Il est dit en substance dans ce rapport que la situation de ces enfants est plus que précaire; il y a même un grand danger au niveau de certains centres, et les trois exemples qu'il donne sont révélateurs d'une situation critique qu'il faut impérativement prendre en charge. Pédophilie, prostitution, maltraitance… bref, ces centres seraient de véritables fabriques de délinquance, selon lui. Il serait temps que les pouvoirs publics se penchent sérieusement sur cette situation. Dans le deuxième volet du rapport, le rédacteur met en avant le statut de l'enfant abandonné, inspiré de la charte des Nations unies et du Saint Coran, pour inciter le législateur algérien à prendre courageusement des décisions pour la protection de cette frange vulnérable de la société. A quoi servent les budgets alloués ? Dans un rapport des services de la DAS relatif à la situation des centres d'accueil des personnes âgées et de l'enfance abandonnée, présenté lors de la session de l'APW tenue au mois de janvier dernier, il a été fait part des pensions allouées aux familles d'accueil, au nombre de 103, d'un montant annuel de 1 790 256 DA. Cette somme est destinée à 109 enfants placés dans ces familles. Un simple calcul nous révèle concrètement que chacun de ses enfants bénéficie de…42 DA/jour ! Quant aux personnes âgées vivant au sein d'une famille, au nombre de 4 849, elles disposent d'une prime forfaitaire, soit 100 DA/jour ! A contrario, et bizarrement, l'on saura par la présidente de la commission des affaires sociales de l'APW, Souheila Smati, que le centre de rééducation pour filles, sis au boulevard de la Soummam (près du stade Hamlaoui), que cet établissement dispose d'un budget annuel de 90 000 000 de dinars, et ce pour seulement… 25 pensionnaires ! Qui dit mieux ? Ainsi, une seule pensionnaire coûterait à l'Etat 10 000 DA/jour ! Le même montant budgétaire est accordé au centre de Ziadia pour enfants assistés, de 6 à 18 ans, alors que la situation prévalant dans cette institution est des plus calamiteuses, selon le rapport de la commission des affaires sociales de l'APW. En effet, une projection vidéo lors de cette session a laissé toute l'assistance médusée devant des images qui relèvent plus d'un centre de concentration que d'un orphelinat. A ce propos, un ancien pensionnaire de l'orphelinat de Constantine nous dira, sous le sceau de l'anonymat : «Il est évident que ces orphelins vivent dans des conditions désastreuses ; il faut chercher les causes ayant mené à la délocalisation de cette institution qui a donné énormément au pays, en l'occurrence des cadres à la compétence avérée; il faut dire que la cité de l'enfance, telle qu'elle a été conçue durant les années 1930, répondait aux besoins de ces orphelins, mieux encore, le personnel d'encadrement jouissait de compétences et du bon sens qui lui permettait de mieux gérer cette catégorie de personnes. Le fait que la Sûreté nationale se soit accaparée cette bâtisse pour on ne sait quel motif, me semble un vrai déni pour ces orphelins qu'on a voulu éloigner des regards indiscrets.» Sur un autre registre, concernant les familles d'accueil, dites nourrices dans le jargon de la DAS, Saliha, elle-même pupille de l'Etat, que nous avons rencontrée au CHU, ne s'étonne pas outre mesure. Elle nous déclare ceci : «Je fais partie de ces enfants qui ont été placés dans les familles d'accueil, et je peux vous affirmer que notre enfance n'a été que réprimandes, humiliations et privations, la cause en est toute simple, ces familles ne voient en nous qu'un intérêt mercantile, sans plus.» Et d'ajouter : «Pourtant des assistantes doivent suivre ces familles à travers des visites périodiques, mais en réalité, elles ne le font pas, laissant ces nourrices agir à leur guise.» Pour Nadira, une autre enfant placée chez une nourrice, l'impression est tout autre. «Je garde de bons souvenirs d'une femme attentive et correcte, la preuve j'ai réussi à avoir un niveau scolaire appréciable pour entamer une carrière professionnelle assez digne», témoigne-t-elle. Elle insiste pour nous dire qu'elle constitue, néanmoins, une exception, parce qu'elle connaît beaucoup de filles qui n'ont pas eu cette chance d'être protégées, pire encore, elles ont connu la délinquance prématurément, et dans la plupart des cas, c'est lorsqu'elles ont su qu'elles étaient des enfants «illégitimes». Nous nous sommes rapprochés de la direction de l'action sociale pour nous enquérir de la pension accordée aux familles d'accueil. Et en effet, le chargé de la communication de la DAS nous a confirmé ces chiffres, non sans exprimer de l'étonnement. Ce qui nous a laissé pantois devant tant d'insouciance. Notre interlocuteur nous dit ceci : «Nous octroyons à ces familles d'accueil, plus connues sous le nom de nourrices, la somme de 1300 DA pour les enfants dits normaux, et 1600 DA pour les enfants en état de handicap et ce depuis 2004, cependant ce qui m'importe le plus, c'est que pour ces enfants, je me dois de leur trouver une famille d'accueil, plus chaleureuse que le meilleur des centres.» Des innocents livrés à tout va Quelles sont les raisons qui poussent ces nourrices à accueillir des bébés pour une somme dérisoire ? Notre interlocuteur n'a pu avancer la moindre explication dans ce sens. Il se contentera de nous dire que le fait relevait du ministère de la Solidarité nationale. Le premier responsable de l'action sociale, Abderrahmane Tira, nous dira, quant à lui, qu'il gère ce genre de situations en fonction de ce que lui confèrent les règlements en la matière. Il déclare, à ce sujet : «C'est regrettable que l'Etat ne puisse octroyer que ces sommes, mais ce sont les lois et nous n'y pouvons rien.» Concernant les critères exigés pour être famille d'accueil, il nous confiera ceci «Ces familles, elles ont été toujours là et la pension que nous leur remettons pour prendre en charge des enfants orphelins, handicapés, est juste symbolique mais nous leur procurons d'autres avantages en nature, tels les couvertures, les habits et autres trousseaux scolaires.» Une réponse pas très convaincante, car plusieurs jeunes filles ayant vécu avec ces nourrices gardent de mauvais souvenirs ; elles parlent de sévices et de maltraitance. Alors, pourquoi ont-elles été recueillies, vu que les montants alloués sont dérisoires ? Par charité, ou bonté d'âme ? A l'évidence, non, puisque la plupart de ces personnes ont eu une enfance malheureuse. Pour notre part, nous ne pouvons nous empêcher de nous référer aux différents reportages et autres articles de presse, qui ont régulièrement dénoncé ces dysfonctionnements existants au niveau des DAS. Encore une fois, l'élue APW, Souheila Smati, nous confie ceci: «J'ai eu vent de beaucoup de malversations au sein de cette administration, notamment les pots de vin encaissés par certains agents pour l'octroi d'un pupille aux fins d'adoption ; j'ai eu vent, aussi, de la tendance qui prend des proportions alarmantes, voire douteuses, de certains émigrés qui désirent adopter un enfant. La misérable allocation destinée aux nourrices n'est pas sans conséquences…d'où toutes les dérives et autres dépravations de cette malheureuse catégorie que je me dois de défendre, même au prix de ma vie.» Quoi qu'il en soit, il faut avouer que ce dossier est loin d'avoir livré tous ses secrets. Ce fait expliquerait peut-être un peu le silence des autorités concernées.