En dépit de faits graves ayant eu lieu au sein de cette institution publique, rien n'a été fait pour protéger les pensionnaires, tous des pupilles de l'Etat. Le foyer pour enfance assistée (FEA) de la commune de Aïn Touta (w. de Batna), situé à la limite de la ville, se présente comme un véritable symbole de marginalisation sociale. Au-delà de la bâtisse où résident une cinquantaine d'orphelins âgés de plus de 6 ans, -loin des regards indiscrets du citoyen lambda et de ceux des responsables directs du secteur-, l'on ne voit que quelques maisons en construction, et puis plus rien. Lors d'une visite à titre anonyme en compagnie des membres de l'association El Baraa à ce centre, nous avons été frappés par le sordide du quotidien de ces malheureux, l'absence totale d'un quelconque encadrement pédagogique, et surtout par le nombre considérable de problèmes et de scandales qui ont entaché, et qui entachent encore, cet établissement. La seule psychologue du foyer qui y a travaillé pendant une décennie, est interdite d'exercice de sa véritable fonction, selon Souad Bensalah, présidente de l'association, Dès l'entrée, l'on est accueilli par des fils barbelés surplombant les murs. Des portails métalliques qui condamnent les dortoirs laissent une seule petite ouverture centrale. Au-delà, c'est une odeur de moisi pestilentielle qui évoque plus une geôle qu'une structure pédagogique. M. Kherchouche, chef du service pédagogie et éducateur de formation, est le premier à nous souhaiter la bienvenue au centre. Après avoir rassemblé tous les enfants dans une salle crasseuse qui leur sert de réfectoire, il est entré dans un «monologue» pour expliquer le difficile travail qu'il doit assumer. Selon lui, dès que l'un des enfants atteint un âge critique, «où il commence à lui causer des problèmes», il est systématiquement transféré. «Ou il reste tranquille ou on le transfère, je ne suis pas prêt à sacrifier tout le groupe à cause d'un seul enfant», a-t-il tenté de justifier. La facilité avec laquelle un pensionnaire est transféré, est non seulement déconcertante, mais conforte ce type de méthodes. Il suffit, comme l'explique notre interlocuteur, d'un rapport adressé au juge des mineurs pour que le «fauteur de troubles» change de wilaya. En outre, le prétexte de la mixité du centre est l'un des principaux moteurs de transfert. Selon une source fiable, l'on n'hésiterait pas à se cacher derrière des raisons «religieuses» pour justifier un manque d'effort évident. D'autres employés n'hésiteront pas à affirmer, devant ce responsable, qu'il n'est pas «physiquement apte à assumer cette responsabilité, puisqu'il est sérieusement malade». Toutefois, nous dit-on, la situation n'a pas toujours été aussi désastreuse au FEA de Aïn Touta. C'est, disent nos sources, «depuis la désignation de la directrice actuelle que la détérioration des conditions de vie s'est accélérée». Plusieurs incidents majeurs ont frappé l'institution : viol d'une pensionnaire de 12 ans, violences physiques à l'encontre de plusieurs enfants, notamment un handicapé partiel et renvoi et transfert des adolescents récalcitrants. Tous ces faits graves ont été dénoncés aux autorités locales et ministérielles par l'association El Baraa dans un souci de protection de l'enfance, mais sans aucun résultat concret, et ce, malgré plusieurs commissions dépêchées au centre, dont, entre autres, une commission ministérielle. La direction pointée du doigt Dans ces différentes correspondances, dont nous détenons une copie, Souad Bensalah, présidente de l'association, pointe du doigt le passif de la directrice du foyer ainsi que son «comportement irresponsable» comme étant les principales raisons de cette décadence au sein de l'orphelinat. Elle nous dira à ce propos : «La directrice a été désignée à ce poste par mesure disciplinaire et trouve le moyen d'être absente la quasi-totalité du mois ; les enfants sont de ce fait abandonnés à leur sort, et les adolescentes versent dans la délinquance; l'attitude de la directrice a gravement contribué à une telle situation.» Elle ajoutera que le comportement de la directrice, censé être un modèle pour les enfants, n'a engendré que l'anarchie au sein de l'établissement. A titre d'exemple, une résidente du nom de Ahlem, pupille de l'Etat, scolarisée, a été mutée au centre Héliopolis de Guelma par mesure disciplinaire. Dans une lettre écrite par la jeune fille, et dont nous détenons une copie, celle-ci explique qu'elle a été l'une des pensionnaires favorites de la directrice. Voici ce qu'elle écrit à ce sujet : «J'étais la préférée de la directrice. Elle s'est rapprochée davantage de moi lorsque j'ai commencé à voir des choses gênantes ; elle m'a demandé de faire des choses que j'ai du mal à citer ici. Elle m'a ensuite écartée pour que je ne divulgue pas ses secrets. Elle a aussi saboté mon dernier lien avec ma mère qui a finalement refusé de me reprendre.»D'après nos dernières informations, Ahlem se trouve maintenant à Tlemcen, où elle a été poussée à la débauche ; elle est même enceinte d'un homme qui a été arrêté. Trop jeune pour s'occuper de l'enfant qu'elle porte, elle perpétuera, malgré elle, le drame de ces enfants abandonnés en déposant le sien dans une pouponnière. Et la boucle sera bouclée. «Avant, nous pouvions travailler et aider les enfants du centre. Depuis la création de l'association en 1999, grâce à la contribution de citoyens et de leurs dons, nous sommes arrivés à marier 17 filles. Depuis l'installation de la nouvelle directrice, nous ne pouvons plus rien faire. Même les cadeaux que nous ramenons sont confisqués», nous explique la présidente de l'association El Baraa. De notre côté, nous avons tenté à maintes reprises de contacter la directrice du FEA, pour entendre sa version des faits, mais sans succès.