Matinée chaude ! A peine 7h, une foule commence à se constituer devant la prison d'El Harrach à Alger. A première vue, l'on peut distinguer Me Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, Me Benarbia, Fouad Boughanem, directeur du Soir d'Algérie et également Belaïd Abrika du mouvement des archs, accompagné de toute sa « tribu ». En face de la prison, quelques membres du Comité Benchicou pour les libertés (CBL) s'affairent à accrocher une banderole au mur. Une poignée de militants des droits de l'homme, debout au bord de la route longeant l'enceinte carcérale, exhibent des portraits de l'« homme du jour », Mohamed Benchicou, journaliste et directeur de publication du Matin. « Tout le monde est là pour lui », lâche un membre du CBL. La foule, qui grandit au fil des quarts d'heure qui passent, est là pour accueillir Benchicou qui va sortir de prison, après avoir purgé une peine de 2 ans. Ses proches et amis arrivent en petits groupes. Fatiha, son épouse, est là. Des admirateurs de sa plume rejoignent le regroupement, occupant le trottoir d'en face. Au bout d'une heure d'attente, l'un des frères du « libéré » nous informe que le prisonnier quittera l'enceinte carcérale vers 9h. Tout le monde a les yeux braqués sur la porte de sortie : les caméras, les appareils photo des reporters photographes... Même les passants, étonnés de voir autant de monde devant la prison, marquent une halte pour étancher leur curiosité. Un renfort de policiers arrive. Sait-on jamais ! 9h passées, Benchicou n'apparaît pas. « Il restera encore longtemps à l'intérieur ? », se demande quelqu'un parmi la foule. « Les procédures de sortie sont longues », lâche une autre personne, qui dit avoir encore gardé l'amer souvenir de son « séjour » dans cet établissement pénitentiaire. Encore une heure donc ! Exposée à une chaleur tapante, la foule commence à être gagnée par la fatigue, mais tient bon grâce à un sentiment d'injustice subi par Benchicou. 10h. L'homme attendu fait son apparition devant la petite porte de la prison. En complet gris, gardant toujours ses cheveux longs poivre et sel, Benchicou, encadré par deux policiers, lève sa main vers le haut et fait avec deux doigts le signe V, synonyme de victoire, et sourit à la foule qui se bouscule auprès de lui. Impossible de l'approcher. Les reporters photographes ont du mal à le prendre en photo. Des youyous éclatent, suivis de slogans hostiles au régime en place, tels que « Pouvoir assassin », « Ulach smah ulach », « Mazalagh Imazighen ». L'ambiance nous fait rappeler le « vieux » temps des marches des archs de Kabylie. Au bout d'un quart d'heure, Benchicou franchit difficilement cette foule compacte et se jette dans la voiture de son frère Abdelkrim, tout en saluant la foule avec sa main. La voiture est suivie par d'autres véhicules faisant ainsi une sorte de cortège jusqu'à la place de la Liberté de la presse à Alger-Centre. Après avoir marché quelques mètres sur la rue Hassiba Benbouali, il se recueille à la mémoire des journalistes assassinés pendant la dernière décennie et dont les noms sont gravés sur la plaque commémorative à la place de la Liberté. D'autres journalistes et amis rejoignent cette ambiance festive, dont le directeur du journal Liberté, Ali Ouafak. Après cette halte, Benchicou prend le chemin de la maison de la presse Tahar Djaout. Mais avant d'y arriver, il s'arrête au niveau du hangar de la société de transport public Etusa, au Champ de manœuvre, où il dépose une gerbe de fleurs à la mémoire des deux jeunes journalistes fauchés par un bus de cette même entreprise un certain 14 juin 2002. Date de la fameuse marche avortée des archs à Alger. Ensuite, Benchicou retrouve les siens à la maison de la presse où Me Ali Yahia Abdenour qui, malgré le poids des ans, a tenu à faire le périple, lâche à l'adresse des journalistes : « Aujourd'hui, Mohamed Benchicou sort d'une petite prison pour entrer dans la grande qui est l'Algérie. Il est libéré, mais il n'est pas libre comme nous le sommes tous. Car tous les espaces d'expression libre sont fermés. » Me Ali Yahia ne désespère pas et appelle la corporation des journalistes à poursuivre sa lutte pour « la libération de l'Algérie ».