Engagés dans une course contre la montre, les malades atteints de cancer se heurtent à la difficulté d'obtenir des rendez-vous à temps pour la radiothérapie. Reportage. Au bureau de l'association d'aide aux cancéreux El Amel, un appel émane d'une femme en détresse. Elle dit qu'elle est de Blida, la voix tremblante elle demande de l'aide : «Ma sœur risque la récidive, la mort ! On n'a pas les moyens pour payer 25 millions de centimes pour les radiothérapies dans une clinique privée. Nous sommes dans le besoin, aidez-nous !». Ne sachant à quel saint se vouer, la femme au bout du fil dit que sa sœur a son rendez-vous de radiothérapie pour le mois de juillet de l'année 2014, sauf que le médecin a exigé qu'elle la fasse avant le mois de janvier, sinon elle risquerait de graves conséquences sur sa santé. Mme Ketab, la secrétaire générale de l'association El Amel dédiée à l'aide des cancéreux nécessiteux était visiblement touchée. Dans son bureau, les appels de détresse fusent de partout. Elle essaie de calmer l'appelante en l'orientant : «Essayez de contacter des personnes aisées pour couvrir les frais, il ne faut pas perdre espoir». C'est ce que confirme à ce sujet Dr N. Benoumechiar, une oncologue présente au bureau de l'association El Amel : «La CNAS ne prend pas en charge les frais de la radiothérapie chez le privé, ce n'est pas normal», s'étonne-t-elle. Même les personnes aisées ont du mal à obtenir des rendez-vous à temps pour la radiothérapie. C'est l'histoire d'une femme qu'on appellera Salima, la cinquantaine, une professeure d'université. Elle vient de revenir chez elle après une séance de chimiothérapie douloureuse. Une femme qui a tellement changé physiquement. Elle a maigri, son teint est devenu pâle, elle a perdu complètement ses cheveux. Mais elle n'a jamais baissé les bras. Salima raconte sa souffrance : «Mon médecin traitant m'a expliqué que je dois me débrouiller pour avoir un rendez-vous de radiothérapie dans un délai qui ne dépassera pas les 6 semaines après ma dernière chimiothérapie. C'est là que le parcours du combattant a commencé. J'ai eu 3 rendez-vous, mais tous pour la mi-2014. Ce qui revient au même, je risque la récidive.» L'inquiétude de Salima s'accentue lorsqu'elle a appris que les accélérateurs de l'hôpital de Aïn Naâdja et celui du CMPC sont en panne. «J'ai compris que le plus angoissant n'est pas d'obtenir un rendez-vous, mais de ne plus être sûre de la fiabilité des appareils.» Grâce à ses économies, Salima a pu avoir des rendez-vous pour sa radiothérapie en Tunisie pour un montant total de 2500 euros. Les dégâts du cancer s'étendent pour toucher les familles et proches des cancéreux. C'est le cas de Nordine, un journaliste quinquagénaire, originaire de Constantine. Il a perdu sa femme atteinte d'un cancer à la fleur d'âge. Il revient sur les sévices psychologiques endurés pendant et après le drame. «On se sent désarmé sans pouvoir apporter le moindre soutien. Nos hôpitaux manquent cruellement de psychologues à même d'accompagner et les malades et les familles, d'où des errements aux conséquences ravageuses. L'aspect psychologique de par mon expérience revêt une importance capitale pour une gestion qui n'est pas toujours évidente», dira-t-il. Nordine garde de mauvais souvenirs et des regrets à cause de ce qu'il a enduré lui et sa famille. Des statistiques qui font peur «20 000 cancéreux sur les 28 000 ayant demandé des rendez-vous de radiothérapie n'ont pas encore accès à ce traitement, c'est-à-dire qui n'ont pas de rendez-vous à temps. «On perd des malades «bêtement», déclare amèrement Mme Ketab. Si la vie n'a pas de prix, les cancéreux en Algérie sont soumis à la rareté des infrastructures et à la surcharge dans les hôpitaux. Au niveau du territoire national, seuls 6 centres publics seulement sont opérationnels. Ainsi que 2 centres privés, un à Blida et un à Constantine. Ce dernier a ouvert ses portes récemment. Pour ce qui est du coût d'une seule radiothérapie, celle-ci s'élève à 9000 DA la séance. Cependant, le nombre de radiothérapies que le patient doit effectuer varient d'un patient à un autre. Allant de 10 séances jusqu'à 60. Un traitement complet coûte très cher pour une personne à salaire moyen. L'autre problème auquel sont confrontés les cancéreux est la distance qui les sépare des centres anticancéreux. Ceux qui viennent des wilayas du sud sont obligés de payer davantage. Trouver où dormir, se nourrir tout au long de leurs séjours pour établir des bilans. «Il y a ceux qui ont carrément abandonné leurs traitements», rapporte la porte-parole de l'association El Amel. Toutefois, Salima, et sur un ton compatissant, révèle qu'au cours de ses séances de chimiothérapie, elle a constaté l'étendue des dégâts. «Il y a des femmes qui n'arrivent pas à trouver des rendez-vous proches, des femmes qui récidivent parce que la radiothérapie n'a pas été effectuée à temps, elles n'ont pas les moyens que moi j'ai.» Après un moment de silence, elle tonne : «cela me révolte!»