La levée de l'état d'urgence n'a eu pour l'instant que très peu d'impact sur l'exercice des libertés civiles par les Algériens, car l'arsenal juridique préexistant est parfois tout aussi répressif, ou utilisé de manière répressive. Les autorités algériennes doivent travailler à abroger ou réviser ces textes, le cas échéant, et à mettre un terme à certaines pratiques arbitraires et abusives de l'administration qui n'ont, la plupart du temps, aucune base légale», a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à l'Organisation de défense des droits humains, Human Rights Watch (HRW). HRW, qui est basée à Washington, a rendu public, mercredi 6 avril, un communiqué exprimant des inquiétudes sur les interdits qui frappent les activités politiques et associatives dans le pays. «Les autorités continuent (…) à bafouer les droits fondamentaux des Algériens comme, entre autres, les droits de rassemblement et de réunion, pourtant consacrés par la Constitution algérienne qui affirme notamment que ‘'les libertés d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen'' (art 41)», a remarqué HRW. L'organisation a cité l'exemple de l'interdiction, à plusieurs reprises, des marches de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD - partis politiques) à Alger. Elle a rappelé que les autorités s'appuient sur un ordre datant de juin 2001 «dont le texte n'a jamais été rendu public». Elle faisait référence à un décret promulgué après la marche sabotée des délégués de la Kabylie le 14 juin 2001 à Alger. HRW n'a pas manqué de souligner que le droit de rassemblement est protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l'Algérie a adhéré. L'article 21 de ce pacte prohibe toute restriction imposée au droit de rassemblement à l'exception de celles «imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui». HRW a rappelé aussi que «l'interdiction des manifestations à Alger viole le droit de rassemblement des Algériens par sa définition trop vague et sa durée illimitée», a observé Sarah Leah Whitson. HRW a souligné que le droit algérien, «même lorsque l'état d'urgence était en vigueur», ne permet pas d'interdire de manière absolue et préalable les manifestations sur la voie publique, dans une partie ou sur la totalité du territoire national. «En posant une telle interdiction, le pouvoir vide de sa substance un droit fondamental, consacré à l'article 41 de la Constitution», a-t-elle indiqué. L'interdiction, selon HRW, ne s'applique pas en dehors de la capitale, mais la loi algérienne exige toujours une autorisation préalable pour toute manifestation publique (loi 91-19 relative aux réunions et manifestations publiques). «Autorisation qui, dans les faits, est très rarement délivrée aux mouvements critiques du pouvoir en place. Pourtant, l'on observe que des manifestations en province sont parfois tolérées malgré l'absence d'autorisation préalable. D'autres fois, les tentatives de manifester en province peuvent être brutalement réprimées et/ou mener à l'arrestation de ceux ou celles qui participent à leur organisation», a-t-elle relevé. «Cet usage restrictif des lois ne concerne pas uniquement les manifestations publiques. Les autorités font preuve des mêmes réflexes répressifs lorsqu'il s'agit des réunions publiques, surtout lorsqu'elles sont le fait d'organisations de la société civile perçues comme non inféodées aux autorités», a ajouté HRW en évoquant les difficultés rencontrées par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD Barakat) pour avoir l'autorisation d'organiser un meeting à Alger. «La société civile est fragilisée par l'obligation de se soumettre aux pratiques arbitraires des autorités ou de mener ses activités dans un cadre non légal. La plupart des organisations perçues comme critiques envers le régime ne tentent même plus de demander les autorisations pour se rassembler, sachant qu'elles ne les obtiendront pas, ou de déclarer les réunions publiques. Ces réunions se tiennent donc de façon semi-cachée et les manifestations ont lieu de manière non autorisée», a estimé Sarah Leah Whitson. Selon HRW, l'Algérie devrait réviser sa législation sur les manifestations et réunions publiques afin qu'elle soit conforme aux normes internationales. «L'Algérie devrait mettre en place un régime de déclaration et non d'autorisation préalable pour ce qui concerne les manifestations publiques. La loi devrait être révisée afin de limiter le pouvoir discrétionnaire des autorités d'interdire des manifestations.»