Après une assez longue éclipse, Ahmed Ouyahia revient de manière tonitruante aux affaires et se retrouve chef de cabinet de la Présidence. Autre président, autre mission. Vingt ans après, Ahmed Ouyahia revient au même poste qu'il avait occupé sous la présidence de Liamine Zeroual. Directeur de cabinet au palais d'El Mouradia. Un come-back soigneusement orchestré. Un grand oral, diffusé mercredi sur une chaîne de télévision privée, pour porter la parole du sérail et «rassurer» sur l'unité des rangs entre les différentes factions du régime, vingt-quatre heures seulement avant l'annonce officielle pour un poste pivot à une présidence dont le locataire est absent depuis près d'une année en raison de maladie. Un retour aussi surprenant qu'inattendu qui pourrait s'expliquer fort probablement par l'aggravation de l'état de santé de Abdelaziz Bouteflika. Une revanche pour celui qui a été limogé inélégamment du poste de Premier ministre, avant d'être éjecté du siège de secrétaire général du RND de manière le moins que l'on puisse dire humiliante. L'homme des «basses besognes» qui sait encaisser les coups avait lâché des mots lourds de sens, début janvier 2013, avant de quitter la scène. «L'échec du gouvernement est un échec collectif» et «l'argent commande en Algérie ; il commence à gouverner et à devenir un argent mafieux», lâchait-il quelques semaines avant son départ du palais du gouvernement, rue docteur Saâdane. «Abandonné» par le régime, Ahmed Ouyahia écrabouillé par ses «camarades» du parti était donné pour mort politiquement. Mais tel un phénix, il sait se préserver habilement et se mettre à la «réserve» de la République. Le plus impopulaire des leaders politiques algériens, Ahmed Ouyahia est un homme aux sept vies qui sait faire le mort, laisse passer l'orage et prend son mal en patience, guettant un appel des dieux. Il savait sa retraite éphémère. Après des semaines de polémique et d'hostilités entre factions du régime à propos des oppositions à un quatrième mandat exprimées, notamment au sein des segments de l'armée, le rappel d'Ahmed Ouyahia aux affaires scelle le compromis autour de la reconduction de Abdelaziz Bouteflika à la magistrature suprême. Mais, face à une opinion nationale de plus en plus hostile, le clan présidentiel ne veut pas assumer seul un quatrième quinquennat consécutif d'un Président quasi absent. Il faut que tout le monde «se mouille» pour infliger à la société un mandat de trop. Ahmed Ouyahia, connu pour sa proximité avec le patron du Département du renseignement et de la sécurité «le frère Toufik», a certes défendu l'option d'un quatrième mandat, mais avec moins de conviction. Par le passé, il avait laissé entendre que le quatrième mandat n'était «pas une bonne chose pour l'Algérie». Il ne faisait pas mystère sur son ambition présidentielle, d'où les rapports tumultueux entre lui et Abdelaziz Bouteflika. Entre les deux hommes, les rapports étaient souvent instables. Ils se haïssaient réciproquement. Si en public, Ouyahia dit tout le bien qu'il pense du chef de l'Etat, en privé, il raille «une crise morale que vit le pays» sous la direction de Bouteflika. Commis de l'Etat ou serviteur zélé, le natif de Boudhnane assure en toute circonstance une loyauté totale au régime, pensant qu'un jour, il le portera au sommet de l'Olympe. A quelques semaines seulement d'une élection présidentielle pleine d'incertitudes, Ahmed Ouyahia entre au palais d'El Mouradia presque par effraction. «Les rouages de la présidence de la République ne me sont pas étrangers», dit-il en rappelant les différents postes qu'il avait occupés dans la haute administration de l'Etat. Ainsi, le retour aux affaires de celui qui était plusieurs fois chef de gouvernement intervient à un moment où le président-candidat apparaît de plus en plus malade. A sa dernière apparition lors du dépôt de son dossier de candidature au Conseil constitutionnel, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, semblait très affaibli et la voix éteinte. Depuis son accident vasculaire cérébral, survenu le 27 avril 2013, le chef de l'Etat n'assure plus sa fonction de Président. Le rappel de cet homme adepte de la doctrine autoritaire vient-il ainsi combler une vacance de pouvoir alors que le pays s'apprête à vivre un scrutin présidentiel inédit ? Il est évident qu'avec un chef d'Etat, dont la capacité à diriger le pays est sérieusement mise en doute, placerait un Ahmed Ouyahia conquérant en roue libre. Il est remis sur l'orbite présidentielle. Il sera à coup sûr, du moins jusqu'à l'élection présidentielle, le président par «intérim». Une position qui lui assurera sans doute, au lendemain de l'élection, un rôle central dans la maison présidentielle.