C'est avec la certitude du résultat qu'Abdelaziz Bouteflika entamera, sans même se donner la peine d'y être physiquement présent, la campagne électorale par laquelle il compte mettre en exergue son indéniable popularité en dépit d'un lourd handicap de santé et d'un bilan très mitigé. En veillant autant que possible à préserver la façade légaliste, le cercle présidentiel qui travaille à sa réélection s'est en effet donné tous les moyens requis pour parvenir à ses fins. Outre les institutions nationales qui ont un grand rôle à jouer dans le déroulement du processus électoral (Conseil constitutionnel, ministère de l'Intérieur, DGSN, ministère de Justice, médias publics, Commission de surveillance des élections) appelées à travailler exclusivement pour lui, il pourra cette fois encore compter sur le pouvoir de l'argent qui avait, on s'en rappelle, fait timidement intrusion à l'occasion de son troisième mandat, pour prendre aujourd'hui une ampleur terrifiante. Les forces de l'argent sont terrifiantes aussi bien par la masse gigantesque de capitaux qu'elles peuvent mettre à la disposition de leur candidat que la qualité intrinsèque de l'écrasante majorité de leurs détenteurs qui ont, comme on le sait, fait fortune dans des activités informelles et autres activités tangentes avec la légalité. L'argent liquide non bancarisé coulera à flots pour financer sans laisser de traces les coûteux frais de la campagne et les nervis du pouvoir «baltagias» et autres pourvoyeurs de meetings qu'il faudra ramener de loin pour remplir les forums électoraux et, chaque fois que nécessaire, perturber les manifestations des opposants au quatrième mandat. Pour donner une idée de l'importance des capitaux mobilisables en faveur du Président sortant, il faut savoir qu'à la fin de l'année 2013, les services du Registre du commerce avaient dénombré pas moins de 55 000 sociétés privées de négoce toutes versées exclusivement dans l'importation, qui brasseraient au bas mot une quarantaine de milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel. Leurs affaires sont fructueuses, notamment depuis que Bouteflika a ouvert les vannes de l'importation et ils en sont bien conscients en souhaitant que rien ne change dans cette dynamique qui a, dans de nombreux cas, subitement transformé des miséreux en détenteurs de fortunes colossales. Il faut évidemment ajouter à ces importateurs qui détiennent des registres de commerce les milliers d'autres qui n'en ont pas (acteurs commerciaux informels de tous genres), mais qui ont accumulé au gré du temps et des circonstances de prodigieuses fortunes en argent liquide (chkara) échappant totalement au fisc. Ces riches acteurs de l'informel offrent en outre la particularité d'être très proches des milieux islamistes et ceux de la délinquance qu'ils savent, moyennant quelques subsides, manipuler à leur avantage. Le pouvoir de l'argent est encore plus pesant dans l'Algérie profonde, où de nouveaux riches ayant généralement tiré leurs fortunes du marché informel et de la contrebande aux frontières sont devenus d'influents potentats locaux. Le pouvoir de l'argent a déjà permis à bon nombre d'entre eux d'accéder au Sénat et à l'APN, parfois même en tant que chefs de groupes parlementaires. Ils comptent de plus en plus dans l'échiquier politique et si rien n'est fait pour casser cette dangereuse dérive, il est à craindre que le pouvoir politique leur revienne de fait ou de droit à plus ou moins brève échéance. Avant qu'il ne soit limogé de son poste de Premier ministre, Ahmed Ouyahia avait, on s'en souvient, attiré l'attention de l'opinion publique sur cette amère réalité, mais ironie du sort, le voilà revenu au pouvoir pour soutenir la candidature qui a ouvert la voie à cette dangereuse dérive mafieuse qu'il avait dénoncée. Si les 300 patrons émargeant au Forum des chefs d'entreprises (FCE) ne lui sont pas tous acquis, Bouteflika pourra très certainement compter sur l'appui financier d'au minimum une vingtaine d'entre eux. Ce sont généralement des opérateurs très opulents qui ont émergé dans des circonstances qui restent à élucider au cours de ces quinze dernières années. Certains d'entre eux entretiennent des liens très étroits avec des hommes proches du Président sortant qui ont à l'évidence stimulé leur enrichissement. En échange de la promesse de leur octroyer une consistante aide financière de l'Etat pour transformer leurs sociétés familiales en entreprises de très grande envergure (champion) à l'exemple de ce qui s'était fait en Corée du Sud à la fin des années 70, certains de ces patrons ont milité avec beaucoup de zèle à convaincre leurs collègues à mettre le maximum d'argent dans la cagnotte de la campagne électorale du Président sortant. La presse a ainsi fait état de 20 milliards de centimes collectés en un seul tour de table, un certain après-midi à l'hôtel El Aurassi. Les propos souvent entendus de cette caste d'affairistes sont à peu près les suivants : «Avec Bouteflika, on est au moins sûr que les affaires continueront à marcher et que celles qui ont été récemment engagées ne seront pas interrompues. Ce qui pourrait être le cas si un changement à la tête du pays venait à se produire.» Aider Bouteflika à être réélu équivaudrait pour tous ces nantis à investir dans la préservation d'un précieux soutien avec, de surcroît, l'assurance d'un excellent retour sur investissement. C'est pourquoi la plupart d'entre eux n'hésiteront pas à financer cette campagne électorale dont ils paraissent certains de l'issue, confortés en cela par les battages médiatiques et les relais sociaux qui avaient, comme on le sait, commencé avant l'heure.