Selon la Loi fondamentale du pays, la démission ou le renvoi du Premier ministre implique nécessairement le départ de son gouvernement. La désignation de Youcef Yousfi est anticonstitutionnelle. Le maintien du gouvernement actuel est tout aussi contraire à la loi fondamentale de l'Algérie, et tout le contenu du communiqué émanant jeudi dernier de la Présidence est en porte-à-faux avec les lois de la République dans le fond et dans la forme, constatent des constitutionalistes et des défenseurs des droits de l'homme. Jeudi. Au moment où le Conseil constitutionnel annonçait la liste des candidats retenus pour l'élection présidentielle du 17 avril, la Présidence se fendait d'un communiqué annonçant la désignation de Youcef Yousfi au poste intérimaire de Premier ministre, à la place de Abdelmalek Sellal «appelé à diriger la campagne électorale du candidat Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle du 17 avril 2014, a indiqué hier un communiqué de la présidence de la République», lit-on dans le communiqué repris par l'agence officielle APS. Première remarque : contrairement à la règle, le communiqué qui annonce des décisions importantes ne s'encombre pas de citer les dispositions juridiques qui adoubent les décisions annoncées. Les juristes savent qu'on ne peut justifier une telle omission. Mais «le petit oubli» n'est pas involontaire. Ce qui suit dans le texte lapidaire d'El Mouradia n'a en effet aucune base juridique. Il est même contraire à la loi. Le communiqué indique clairement le motif du départ de Sellal. Or, le nouveau travail assigné au désormais ex-Premier ministre n'est pas une fonction de l'Etat, encore moins un poste officiel dans une institution de l'Etat. Il s'agit bien d'une activité politique partisane (sur le plan juridique), sur laquelle ne peut communiquer la Présidence. Conflit d'intérêts ? Oui, le Président signe en effet une décision qui le concerne aussi en tant que candidat. Plus grave. Le communiqué est bavard là où il doit se taire (pourquoi il est parti) et passe sous silence ce qu'il doit indiquer (comment il est parti). Or, la forme du départ doit impérativement figurer dans la décision. Si Abdelmalek Sellal a démissionné de son plein gré, c'est son droit tel que stipulé dans l'article 86 de la Constitution : «Le Premier ministre peut présenter au président de la République la démission de son gouvernement.» Dans le cas où il a été démis de ses fonctions par Abdelaziz Bouteflika, il s'agit aussi d'une prérogative reconnue au président de la République par l'article 77, alinéa 5. «Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le président de la République jouit des pouvoirs et des prérogatives suivantes (…) alinéa 5 : il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions.» Or, dans les deux cas, le gouvernement doit partir automatiquement, et un gouvernement provisoire est formé pour gérer la situation, indique Boudjemaâ Ghechir, juriste et défenseur des droits de l'homme. Ce sont là les conséquences juridiques et politiques de telles décisions, souligne un constitutionnaliste sous le sceau de l'anonymat : la démission ou le renvoi du Premier ministre implique nécessairement le départ de son gouvernement, tout le gouvernement sans exception, y compris le ministre de l'Energie et des Mines et celui délégué à la Défense nationale. En 2004 et ensuite en 2009, Sellal avait dirigé la campagne du candidat Bouteflika, mais à ce moment, les règles d'usage juridiques avaient été respectées puisqu'il a été démis de ses fonctions de ministre par des décrets publiés sur le Journal officiel. Comment se fait-il qu'un ministre soit chargé, aujourd'hui, d'assurer l'intérim d'un gouvernement démis selon la Constitution ? Comment peut-on concevoir qu'un gouvernement, dont la date de péremption légale est arrivée à terme, soit chargé d'organiser l'élection présidentielle ? Tous les spécialistes du droit que nous avons interrogés sont unanimes pour dire que le comportement du président-candidat est une fraude et une violation de la Constitution. «Le pouvoir considère que l'Etat est une propriété privée», assène Me Ghechir. Le dernier acte signé par Abdelaziz Bouteflika est un acte de féodalisation des institutions de l'Etat. Il hypothèque par conséquent toute la suite des événements et les procédures engagées par les institutions. Le Conseil constitutionnel ne peut rester neutre face à cela. Quant à l'opposition, elle est peut-être devant une opportunité sans égale pour renverser le rapport de forces.