Les services de l'armée coloniale voulaient monter, en 1956, un contre-maquis pour réduire les combattants de l'ALN l Les éléments de la Force K. rejoindront, avec armes et bagages, la lutte pour l'indépendance. Pendant que de retentissants succès dans des accrochages ne cessaient d'être enregistrés au milieu de 1955 et début 1956 par les compagnons d'Amirouche et de Krim Belkacem dans les maquis de l'Akefadou, du Tamgout, de la Soummam…, les responsables des services secrets de l'armée coloniale ont été dans la contrainte de penser une solution à même de réduire les maquisards de Kabylie en y organisant des contre maquis, avec des éléments kabyles. Cette «solution» sera dénommée «Force K», (K comme Kabyle), second nom donné à l'opération «Oiseau Bleu», comme l'avaient imaginée ses concepteurs des Services spéciaux coloniaux. Un ami de Lacoste, inspecteur de la DST, Ousmer, d'origine kabyle, confie l'idée à un de ses amis, T. Hachiche, qui accepte de marcher en comptant, lui aussi, sur une de ses connaissances, Zaïdat Ahmed, dit Hend Ouzaïd, restaurateur dans sa ville natale, Azazga, mais déjà activiste moussebel pour le FLN. Hend Ouzaïd prend un temps de réflexion, avant de se confier à un de ses amis intimes, Mohamed Yazouren, d'Iajmat (Ath Jennad), un des militants nationalistes de la première heure pour la révolution. Celui-ci confie l'idée à Mohamedi Saïd, lieutenant de Krim Belkacem, souffle le projet à son chef. La concrétisation de la manœuvre se réalise sous les consignes scrupuleuses de Belkacem Krim. Le feu vert est donné en vue de recevoir des armes, à retourner, au moment opportun, contre l'ennemi en apportant la preuve sur le terrain au général Olié, avec des cadavres de supposés «maquisards FLN», mais, dans la réalité, des éléments MNA de Belounis. Ainsi, la démarche prend forme avec les militants de la cause algérienne, Ahmed Zaidat et Said Mahlal d'Azazga, Omar Toumi d'Iflissen (Tigzirt), qui se chargeront du recrutement dans leurs régions respectives de pseudo «contre maquisards» en vue de recevoir des armes et de l'argent nécessaires. A cette manœuvre risquée, inimaginable, mais réussie, prennent part également des militants d'Aït Ouaneche (Beni Zmenzer), d'Ihesnawen (Tizi Ouzou), afin que l'opération perdure le temps qu'il faut et n'échoue pas rapidement. Pour commémorer cet événement qui fut un revers pour l'armée coloniale, une rencontre a été organisée en décembre dernier à Tizi Ouzou. Après la projection d'un film documentaire de la jeune réalisatrice Razika Mokrani, les organisateurs ont invité des témoins vivants pour débattre les témoignages du film et narrer le déroulement de cette fameuse opération «Force K». Il s'agit notamment d'acteurs encore en vie de l'opération, tels que El Hadj Mouh-Oumouh Mahlal d'Azazga, un proche de Saïd Mahlal, de Mohamed Makhlouf, de Beni Zmenzer, militant nationaliste bien avant l'opération, en plus de Si Ouali Aït Ahmed, de Tizi Rached, ancien officier de l'ALN, au fait des résultats de cette aventure ayant profité grandement à la révolution algérienne. El Hadj Mouh-Oumouh, dira notamment : «On nous a dit, voilà au cas où les militaires vous arrêtent, vous donnez vos numéros. Le mien, je m'en souviens toujours, c'était le 64. Ainsi, la nuit nous activons avec les moudjahidine et le jour avec les Français. C'était très dur, surtout lorsque nous rencontrons des gens qui nous connaissent, même si nous agissions pour l'Algérie, ces derniers, les civils notamment, ne nous croyaient pas. Ils nous disaient vous êtes des ralliés à la France, même nos proches et des parents doutaient de nous. Et les responsables de l'opération nous disaient, faites bien attention, pas de fuite sur la manœuvre ; dans la journée travaillez comme si vous êtes des collaborateurs. Et dès la nuit tombée, nous partions avec les moudjahidine pour apprendre le tir en dehors de la ville d'Azazga. Pour «effacer» les soupçons vis-à-vis des Français, les moudjahidine nous ont ramené deux types du MNA à éliminer et montrer, avec de vieux fusils inutiles, aux militaires à Tigzirt, pour permettre d'évacuer le soupçon, en leur disant que c'est des fellaghas FLN. Mais lorsque le bachagha Aït Ali arriva, il reconnut les 2 bonhommes et s'adresse à l'officier français : «Mon capitaine, ces 2 morts sont des amis de la France…». Nos amis qui ont accompli la besogne répliquèrent : «Comment ça ? Nous les avions éliminés dans le maquis et vous nous dites qu'ils sont des amis de la France. Impossible !» Quelques jours plus tard, les moudjahidine ont monté une embuscade à Tala Tegana, tout près d'Aghrib, et ont réussi à désarmer des soldats français de 12 mitrailleurs, ainsi que d'autres armes, et à côté, à Timerzouga, un groupe Oiseau Bleu n'a pas réagi, et c'est là que les français ont tiré leur conviction quant à la supercherie, c'était le 22 octobre 1956 et l'organisation était divulguée. 1200 armes pour l'ALN Durant toute la période, nous ne connaissons ni Ousmer, ni personne, c'est en entrant enfin au maquis que nous avions pu connaître le groupe Oiseau bleu, ajoute El Hadj Mouh Oumouh, en rappelant qu'auparavant, «au soir du 1er octobre 1956, on nous a appelés à partir à Iguer n Salem où on a trouvé Omar Toumi. On avait dîné ensemble dans le village. Vers 8 heures du soir, nous avons commencé des tirs avec des fusils de chasse, puis on a entendu de la mitraille avec des fusils mitrailleurs. Omar Toumi a tiré ainsi des fusées éclairantes, un signal pour que les soldats français viennent. En arrivant à Agouni Oumoussi, l'embuscade était préparée. Lorsque la jeep du capitaine Maublanc arriva, déclenchement de tirs, et ce dernier cria : «Arrête ! Omar, c'est moi !» Et Omar de répliquer : «Je sais bien que c'est toi mon capitaine !». «Le 9 octobre 1956, poursuit le même narrateur ému, l'armée française nous a suivis dans une opération lancée contre nous. Avec des milliers d'hommes, elle prit sous son contrôle la moitié de la région d'Iflissen et une partie du côté d'Azeffoun. L'opération dura jusqu'au 12 octobre 1956 à 18h. Le premier vaste ratissage en Kabylie après celui des Aurès, c'est bien celui d'Agouni Ouzidoud. Nous avions perdu alors 97 moudjahid et 12 moussebels, ainsi que des civils, dont l'imam cheikh Tahar et un autre imam de Bousaada, enseignant dans une zaouia de la région», termine El Hadj Mouh Mahlal, qui retenait difficilement ses larmes, à l'évocation de ce nombre de camarades tombés au champ d'honneur dans cette mémorable bataille d'Agouni Ouzidoud. Si Ouali Aït Ahmed décrit les importants apports que cette opération avait ramenés pour la révolution sur tout le territoire national. «Le centre de gravité de l'opération Oiseau bleu, c'était Hand Ouzaid. D'ailleurs, lorsque Krim Belkacem avait donné l'ordre, lors du Congrès de la Soummam, pour que toute la composante rejoigne les maquis, pour le 29 septembre 1956, Hend Ouzaïd, de sa qualité de moussebel qu'il était, et gérant d'un restaurant à Azazga, fut immédiatement promu au grade de commandant», dira l'ancien officier de l'ALN pour montrer l'importance de l'opération Oiseau bleu dont l'apport en hommes, en armes et en argent, était considérable. 1200 armes furent ramenées pour donner un nouveau souffle à l'ALN, notamment en wilaya III, avec cet autre apport psychologique dans les rangs des maquisards, les recrutements opérés par Saïd Mahlal, responsable de la logistique. Hend Ouzaïd est né le 8 février 1913 à Azazga. Il trouvera la mort en martyr en 1957, âgé alors de 44 ans. En hommage à sa mémoire et à celle de son compagnon dans cette périlleuse opération, prise sur ordre de Belkacem Krim, une stèle commémorative aux bustes de Ahmed Zaïdat et de Saïd Mahlal, trône aujourd'hui, à l'entrée de la ville d'Azazga.