Le Premier ministre turc vient très certainement de commettre une erreur aux dimensions révélées par le niveau et l'ampleur des réactions qu'elle vient de susciter. La première d'entre elles est bien entendu celle du président de la République turc qui a refusé d'observer la moindre réserve, et surtout d'emprunter le canal des réseaux sociaux. Effectivement, le président Abdullah Gül a dénoncé hier sur son compte Twitter le blocage jeudi soir de ce réseau social par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. «On ne peut pas approuver le blocage total des réseaux sociaux (...) J'espère que cette situation ne durera pas longtemps», a écrit le chef de l'Etat, révélant des désaccords au plus haut niveau de l'Etat, ainsi qu'au sein de la mouvance islamiste, plongeant dans l'incertitude le parti (AKP) dont ils sont membres tous les deux, à huit jours des élections locales, et cinq mois de la présidentielle. M. Gül, qui avait déjà une première fois contredit le Premier ministre quand celui-ci avait menacé aussi d'interdire facebook et YouTube le mois dernier, a une nouvelle fois exprimé sa différence. Cependant, M. Erdogan a réussi à faire converger des positions jusque-là diamétralement opposées sur le principe même de la liberté, mais aussi et surtout sur celui de la justice, l'une et l'autre étant, dans ce cas précisé, bien liées. En effet, l'interdiction en question constitue, pour son auteur, la riposte du gouvernement à la diffusion quotidienne sur le Net, depuis plus de trois semaines, d'extraits de conversations téléphoniques piratées de M. Erdogan le mettant en cause dans un vaste scandale de corruption. «Nous allons éradiquer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale», avait-il lancé jeudi. «La liberté n'autorise pas l'intrusion dans la vie privée de qui que ce soit ou l'espionnage des secrets d'Etat.» Une mesure pour le moins inutile, car la décision des autorités a été rapidement contournée par les internautes qui ont pu accéder au réseau via d'autres serveurs. Mais elle est rapidement critiquée en Turquie où elle est considérée comme un acte de censure. Et même plus que cela, comme le souligne le principal parti de l'opposition. «Le dictateur a fait un pas dangereux, la Turquie ne peut plus être classée parmi les pays où règne la démocratie», a ainsi déclaré le Parti républicain du peuple (CHP). Et sans surprise par l' Union européenne (UE), constituant dans ce cas-là un mauvais signe dans la négociation pour une adhésion de la Turquie. Les prochaines élections seront incontestablement un test pour l'AKP au pouvoir depuis 2002, et qui n'a pas échappé lui aussi au mal qu'il déclarait traiter. Il s'agit de la corruption dans laquelle sont impliquées de nombreuses personnalités qui ont renoncé à leurs fonctions ministérielles. Sauf que le cercle en question s'est considérablement élargi pour intégrer Erdogan ou certains de ses proches. Lui crie au complot, fomenté, selon lui, par ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen. Beaucoup a été dit sur le travail entrepris par cette confrérie, mais principalement sous la forme d'accusations aussitôt rejetées par cette dernière. Mais on ne manque pas de s'interroger, quelles en seront les conséquences sur la mouvance islamiste dans son ensemble, et ensuite sur l'avenir de M. Erdogan qui ne peut plus être Premier ministre après trois mandats. Est-il par contre toujours intéressé par le fauteuil présidentiel, même s'il n'a pu obtenir les aménagements constitutionnels qu'il souhaitait ? De nouvelles manifestations étaient annoncées hier, mais l'opposition saura-t-elle profiter de telles erreurs ? C'est-à-dire capter les voix de tous les mécontents.