Un colloque « Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l'histoire franco-algérienne », porté par un groupe d'historiens français et algériens de l'Algérie et du fait colonial, se tient à l'Ecole normale supérieure des lettres et sciences humaines de Lyon du 20 au 22 juin, sous la présidence de l'historien Charles-Robert Ageron, tandis que l'historien Mohamed Harbi en assurera l'ouverture. Ce colloque, qui est organisé dans « un contexte où s'affrontent sur le sujet sensible de l'histoire franco-algérienne les porte-parole de groupes de mémoire adverses et des pressions ou injonctions d'histoires des deux côtés de la Méditerranée », se propose pour assainir et apaiser le débat et rendre la parole à l'histoire, affirment ses initiateurs. Il souhaite donner la parole aux des historiens dont ses promoteurs pensent qu'ils servent le mieux l'histoire, loin des chroniques officielles et des leaders de mémoires, loin des historiens idéologues et des mémorialistes de combat. Avec pour axe principal l'histoire franco-algérienne de 1830 à nos jours, mais sans se priver d'aller chercher ailleurs les éléments d'un comparatisme. Et en faisant appel ici et là à d'autres spécialités que l'histoire pour comprendre et éclairer : par exemple sur ce qu'est une histoire officielle, ou une pression officielle sur l'histoire, par les textes qui l'instaurent. Les organisateurs indiquent qu'« il existe d'éminents savants, arabes, anglais, allemands, italiens... qui n'ont que rarement droit de cité dans le paysage audiovisuel tant algérien que français et qui sont même souvent inconnus de bien des Algériens et de bien des Français : ce colloque se veut être un carrefour international de la recherche historique. » « En effet, seule une histoire élaborée en partenariat et fondée sur l'échange et le dialogue international est susceptible de fortifier sainement les relations internationales, en particulier entre l'Algérie et la France. » Sont donc invités des historiens algériens, français et autres européens, mais aussi des chercheurs d'autres disciplines. Soit une centaine d'intervenants au total. Le colloque ne devra pas se limiter aux aspects politiques, afin d'embrasser aussi bien l'économie que les migrations, le poids des structures sociales et des mentalités, voire de l'inconscient. Mais il devra aussi parler d'histoire politique, d'histoire militaire, de la colonisation, des résistances à la colonisation et du nationalisme ; sans compter encore de culture, de littérature et d'art, est-il précisé. Le but étant d'« éclairer les sociétés concernées par un panorama aussi large que possible des recherches acquises et de celles qui sont en cours ; notamment pour la génération née à la fin de la guerre de 1954-1962 et dans les années suivantes, qui n'a guère travaillé sur cette histoire et la connaît souvent mal ; et qui, sur le plan citoyen, n'a pas été formée dans le contexte de cette guerre ». Une démarche scientifique et citoyenne Ce colloque a donc une double ambition de valorisation et d'impulsion de recherches. « Il entend dresser un état du savoir sur l'histoire franco-algérienne, participer à la diffusion de connaissances avérées et permettre l'émergence de nouvelles pistes de recherche. L'histoire franco-algérienne fait partie intégrante des programmes de l'enseignement secondaire ». A plus long terme, cette initiative se donne des objectifs concrets comme, par exemple, la conception d'ouvrages historiques, de vulgarisation et/ou de recherche conçus en partenariat franco-algérien, ou la constitution d'une commission mixte d'historiens algériens et français, en vue de la réécriture concertée des manuels d'histoire de part et d'autre de la Méditerranée. Il s'adresse tout d'abord à un public d'étudiants, d'enseignants et d'enseignants-chercheurs qui « devraient se retrouver dans une démarche d'ordre scientifique ». Mais dans « la démarche civique qui est la sienne, il concerne également le milieu associatif régional impliqué dans les questions d'immigration et d'intégration citoyenne ». Ce projet de colloque est né en France, à l'origine du mouvement de protestation du collectif d'historiens qui s'est constitué contre la loi du 23 février 2005, notamment en son article 4. Il est fondé sur l'idée que « la recherche et l'enseignement doivent rester libres de toute injonction politique ». Il vise ainsi à promouvoir « l'histoire des historiens », « laquelle reste souvent confinée dans les cercles restreints de l'université et autres instituts de recherche ; cela pour mettre à la disposition du public une histoire s'efforçant d'être honnête. Les historiens, même s'ils sont reconnus dans leur spécialité par le microcosme universitaire, peinent à faire entendre leur voix sur des sujets brûlants et qui brûlent encore ». Une Fondation franco-algérienne pour l'histoire Le colloque entend poser sur les bases du savoir la question de la création d'une Fondation franco-algérienne pour l'histoire. L'article 3 de la loi du 23 février 2005 prévoit en effet la création d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie, susceptible de disposer des crédits destinés à financer des travaux de recherche. « Et c'est là que le bât blesse. Car une fondation pour la mémoire n'est pas une fondation pour l'Histoire. La fondation envisagée, si elle s'avérait prisonnière des associations de rapatriés pieds-noirs et harki (s) auxquelles s'adresse l'ensemble de la loi, ne serait alors pas un lieu pour historiens. Cela alors même que les dotations publiques des laboratoires du CNRS sont chaque année revues à la baisse, que les universités souffrent d'une pénurie de moyens pour financer la recherche des doctorants et que les chercheurs doivent de plus en plus rechercher des financements en dehors du ministère de la Recherche, car cette fondation est bien inscrite dans une loi qui rend hommage à une seule catégorie de victimes : celles qui se sont battues pour l'Algérie française. Il y a bien là contradiction avec l'actuelle politique du président de la République française qui travaille à la signature d'un traité d'amitié franco-algérien ». Si les chercheurs ont besoin d'une fondation, « celle-ci doit, à notre sens, être une fondation franco-algérienne pour l'histoire, totalement indépendante ». De son côté, le pouvoir d'Etat algérien tend à « monopoliser l'écriture et l'enseignement de l'histoire. Les Archives nationales algériennes dépendant de la Présidence. Les chercheurs n'y accèdent que sur autorisation spéciale. Et le ministère algérien de l'Education s'accommode encore de l'utilisation de manuels d'histoire conçus dans les années 1970 et 1980, qui continuent à abreuver les élèves algériens de contrevérités et d'héroïsme de commande et qui sont encore trop souvent une caricature d'histoire. « Bien entendu, il n'est pas question, pour l'historien, de nier les violences et les atrocités du passé colonial français ». Le colloque se veut donc être, à la fois, « une défense » et une « illustration » du métier d'historien, de « l'autonomie des chercheurs et des enseignants », en même temps que de la « fonction sociale/éducative de l'historien ».