L'historien Gilbert Meynier réagit positivement à l'interview que Pierre Joxe, président de l'Association France-Algérie, a accordée à El Watan publiée le 11 avril. Gilbert Meynier précise qu'il s'exprime « en tant que partisan d'une histoire critique et citoyenne ». En tant qu'initiateur scientifique du Colloque d'histoire franco-algérien qui s'est déroulé durant trois jours à Lyon, à l'école normale supérieure-lettres et sciences humaines, en juin 2006, je me permets de vous faire part de mon accord quasi total avec ce qu'a exprimé M. Pierre Joxe, président de France-Algérie, dans son interview à El Watan du 11 avril. J'ai particulièrement apprécié les remarques critiques faites à propos de l'enseignement de la langue arabe en France ; il suffit de connaître le nombre très faible de postes à l'agrégation et au CAPES d'arabe en France pour être édifié : on ne pourra plus, dès lors, se lamenter hypocritement sur ces imams intégristes qui enseignent un arabe obscurantisé ici et là. L'accent mis sur l'identité linguistique principale de l'Algérie est important, particulièrement pour la crédibilité des historiens français : pendant longtemps, on a cru, de ce côté de la Méditerranée, qu'on pouvait impunément faire l'histoire de l'Algérie sans connaître l'arabe. Cette situation doit appartenir à un passé révolu. Heureusement, mais encore depuis peu, les jeunes thésards français se mettent de plus en plus, et sans complexe, à se mettre à flots dans la langue de Sindbad le marin : preuve qu'ils ont résolument, en eux, réalisé la décolonisation. Plus largement, le mérite de cette interview est de donner la part belle aux peuples avant les Etats, et aux rencontres de jeunes de part et d'autre de la Méditerranée, avant les conciliabules officiels. Ces derniers, bien sûr, doivent exister, mais ils ne peuvent constituer, à mon sens, que des moyens d'une connexion entre les peuples, en aucun cas des fins : des gentlemen agréements entre pouvoirs établis ne peuvent constituer la seule matière et la seule finalité des relations transméditerranéennes. Remarquable, aussi, est la comparaison énoncée de ce qu'il convient d'instaurer entre Algériens et Français avec ce qui fut décidé, entre Kanaks et Français, dans le préambule des accords de Nouméa, signés en 1998 sous le gouvernement de Lionel Jospin, dix ans après les accords de Matignon signés entre le gouvernement de Michel Rocard et Jean-Marie Tibaou. La puissance publique française doit pour sa part, inconditionnellement, reconnaître la responsabilité de l'état français dans les traumatismes endurés par les Algériens du fait de la conquête, de la domination coloniale, et de la sale — et vaine — guerre de reconquête coloniale de 1954-1962, guerre que les Algériens dénomment, bien sûr, guerre de libération (harb tahrîr). J'aurais, pour ma part précisé que le défunt article 4 de la loi du 23 février 2005 n'est pas le seul à poser problème : que dire, en effet, de l'article 3 qui propose une fondation « pour la mémoire », et non une fondation « pour l'histoire » ? Que dire d'un article 13 qui propose l'indemnisation de personnes ayant pu faire l'objet de « condamnations ou de sanctions amnistiées » en relation avec la guerre de 1954-1962 ? Je rappellerais que l'un des objectifs du Colloque de Lyon était d'œuvrer pour le développement libre d'échanges scientifiques entre historiens, indépendamment des lobbies de mémoire et des injonctions des pouvoirs. »