Lors d'une conférence de presse, animée hier au siège du barreau d'Alger, maître Sellini, président de l'Union nationale des barreaux et bâtonnier d'Alger, a descendu en flammes le procureur général (PG) près la cour d'Alger, Kaddour Berradja, l'accusant de « graves violations » du droit à la défense « à travers sa volonté de privatiser la justice, dans une cour censée être la vitrine de l'Etat de droit dans le pays... ». Il est d'abord revenu sur l'historique du conflit qui oppose les avocats au PG, depuis l'élection du nouveau conseil de l'Ordre, avec lequel le PG « a toujours refusé d'ouvrir le dialogue avec la nouvelle composante. » Nous voulions discuter pour trouver des solutions aux différents problèmes auxquels nous faisons face lors de l'exercice de notre mission, mais lui, voue une haine viscérale à la corporation... ». En dépit de l'instruction du ministre de la Justice, appelant les chefs de cour à ouvrir et organiser des rencontres avec les avocats, au moins une fois par mois, le PG d'Alger reste l'unique qui fait fi des décisions de la chancellerie. « J'ai d'abord refusé de répondre à l'invitation du ministre de la Justice, pour accueillir son homologue en signe de protestation contre ce dénigrement. Je ne veux pas que les avocats soient considérés comme un décor, mais cela ne nous a pas empêchés de reprendre les contacts, pour ne pas couper totalement le dialogue dans l'intérêt du justiciable. Nous avons introduit une demande d'audience qui n'a pas eu de suite... », a-t-il expliqué. La goutte qui a fait déborder le vase La question de la publication des noms des magistrats désignés pour siéger au tribunal criminel est en fait la goutte qui fait déborder le vase. « Il ne doit pas y avoir d'ordonnance secrète. J'ai été voir la présidente de la cour et elle m'a déclaré qu'il s'agissait d'une simple omission de sa part et qu'elle allait réparer le coup. Cette affaire devait être close, mais les choses ont été autrement. Elle s'est défendue après en disant que la loi ne l'obligeait pas à le faire. Je n'ai pas compris ce qui s'est passé entre temps. Ce qui est certain, c'est qu'il y a eu intervention du procureur général ». Pour expliquer la justesse des revendications de la défense, le bâtonnier a fait état de plusieurs jugements cassés par la Cour suprême, uniquement du fait de la communication des noms des magistrats. « rien ne se fait sans le visa du procureur général » « Mais le procureur général a semé la zizanie en faisant croire aux magistrats que les avocats les accusent de corruption. Nous ne pouvons par dire cela, parce que nous savons que beaucoup de magistrats sont honnêtes et intègres. C'est une manière de pousser les juges à entrer en conflit avec les avocats, alors que c'est sa façon de gérer le parquet comme une propriété privée », a noté Me Sellini. « Comment se fait-il que ce soit uniquement la cour d'Alger qui ne rende pas publics les noms des magistrats ? Les autres cours sont-elles hors la loi ? De plus, nous recevons des dossiers maigres qui manquent souvent de pièces essentielles pour la défense. Lorsque nous les demandons, nous nous retrouvons ballottés entre le greffe et la présidente de chambre. Il nous prive de nos instruments de défense et viole totalement le droit de la défense. Il nous interdit de faire opposition, alors que c'est de notre droit (...) Il aura fallu un boycott de la session criminelle pour que le PG décide de nous écrire le 10 juin, pour nous fixer un rendez-vous pour le 20 juin, citant comme référence dans sa lettre notre demande d'audience adressée le 13 avril 2006. Mais, là aussi, c'était un geste de mauvaise volonté, parce qu'il savait qu'il avait une réunion au Conseil supérieur de la magistrature et qu'il n'allait pas venir. Lorsque nous avions rejoint le bureau de la présidente, elle y était avec l'adjoint du PG. Nous lui avons demandé si elle pouvait régler les problèmes que nous avions, elle a répondu par l'affirmative. C'est alors que nous sommes repartis parce que nous savons que rien ne se fait à la cour d'Alger sans le visa du PG. Il a terrorisé tous les magistrats au point où aucun ne peut faire quoi que ce soit sans prendre son avis. » Me Sellini est parti loin en affirmant que toutes les décisions des chambres correctionnelles sont rendues avec l'accord du PG. « J'assume ce que j'avance. J'ai vu de mes propres yeux que les présidents des chambres correctionnelles ne décident de rien sans son avis. Les magistrats qui osent refuser sont tout de suite relevés. Nous les rencontrons et ils nous disent tous qu'ils subissent la terreur et qu'ils n'ont pas les moyens de lui faire face. » « Il gère le palais de justice comme propriété privée » Le bâtonnier a estimé avoir fait « trop de concessions » au PG, en étant « très patient » devant « la mauvaise volonté » de M. Berradja. Ce dernier, a ajouté Me Sellini, a sanctionné les plus brillants des juges pour avoir refusé d'obéir à ses injonctions. « Les exemples sont nombreux et je citerai le cas de juge qui a 30 ans d'expérience dans le pénal qui s'est retrouvé au foncier parce qu'il a refusé d'obéir à ses injonctions. Il gère le Palais de justice comme une propriété privée. Sa première décision a été de vouloir chasser le barreau du Palais de justice. Depuis sa venue à ce poste, il a déjà consommé quatre présidents de cour. Il veut instaurer une justice au garde-à-vous et à ses ordres. » Me Sellini a expliqué que « la haine » affichée par M. Berradja envers le bâtonnier et à travers lui les avocats a eu de graves conséquences. « Le PG se venge sur le justiciable. J'ai eu une affaire d'un mandant condamné par défaut à 6 mois avec sursis. Une fois que je l'ai prise, ce mandant a été condamné à 6 mois de prison ferme. Je ne mets pas en doute l'intégrité des magistrats, mais je sais qu'ils subissent une véritable terreur et n'ont pas les moyens de réagir. Nous sommes face à une escroquerie. L'avocat est empêché de plaider et les décisions rendues sont prises ailleurs que dans les bureaux des juges. » Ce constat noir, a révélé l'avocat, est unique au niveau national, puisque dans les autres cours « les avocats exercent en harmonie avec les chefs de cour ». Au nom de tous les avocats d'Alger, Me Sellini a conclu son intervention en lançant un « SOS » au ministre de la Justice lui demandant par la même occasion de prendre les mesures nécessaires, faute de quoi, a-t-il ajouté, « d'autres voies de protestation » seront empruntées.