On a aimé - et on vous le dit - l'intervention exégétique dont M. Bouteflika a gratifié le colloque de cette semaine commémorant la pensée et le sixième siècle de la mort d'Ibn Khaldoun. Non pas par sectaire nationalisme glorifiant ce fils du pays en un raccourci un peu trop rapide pour en faire « le père de la sociologie », minorant ainsi les apports d'autres savants, mais surtout un principe cher aux historiens des sciences : l'accumulation historique et l'expérimentation dans la discussion en sont au fondement. En ces temps précisément où l'université algérienne bouillonne - pas que pour les salaires, comme on voudrait réduire, mais aussi le sens de son travail - le chef de l'Etat réhabilite, dans une savante rhétorique, un credo de l'évolution des nations : l'œuvre de l'esprit en est le moteur. Il est piquant de sondes interrogatives ce discours sur ce que penser l'Algérie de notre époque-ci peut vouloir dire. Sur ce que la révolte de l'esprit pourrait nous apporter ; sur nos marges de manœuvre, comme disent les économistes, en ces temps de ténèbres. Non pas au sens de « décadence de la civilisation musulmane », comme seriné ailleurs en longueur de pensums, mais tout simplement, ici et maintenant, du désastre multiforme de la société algérienne. Un peu en hommage aux martyrs de cette sanglante décennie - dont les révoltés de l'esprit Boudiaf, Matoub et Djaout assassinés en juin - ces sondes pourraient aider à faire comprendre à la nation mais aussi au monde le sens de la tragédie historique. On aimerait que dans la discussion franche, comme l'écrit Boualem Sansal dans son dernier livre censuré à l'importation, comprendre pourquoi les disciplines de sciences sociales au sein de l'université algérienne sont autant chargées de scories interdisant l'élan créatif et les pistes heuristiques, comme le trop-plein de graisses pénalise le mouvement physique de l'être humain. On applaudirait vraiment, mais vraiment alors, M. Bouteflika quand il dit : « Les idées d'Ibn Khaldoun ne sont-elles pas l'expression par excellence de nos préoccupations présentes ? Ne sont-elles pas une invitation renouvelée à l'esprit pour se révolter, à la raison pour se raviver et à la personnalité pour innover et se libérer ? »