La colonisation n'est évidemment pas un phénomène tombé du ciel ; les sociétés nord-africaines ont été colonisées parce qu'elles étaient colonisables [Malik Bennabi]. Cette «prédisposition» à être colonisées, ou dominées, chez Ibn Khaldoun, ne s'inscrit pas dans une vision essentialiste, mais fondamentalement dans une dynamique historique. L'analyse d'Ibn Khaldoun place, en effet, la problématique du dominé dans le mouvement de l'Histoire (succession de période d'ascension-déclin), et non pas dans des catégories immuables «black», «blanc», «beur», conceptualisées par la pensée coloniale pour légitimer la domination. Son œuvre, plutôt que de servir à glorifier un passé révolu —«Nous les musulmans, nous sommes à l'origine des sciences modernes», ou encore «La civilisation islamique a été...» - pourrait aujourd'hui servir à mettre en lumière les raisons historiques qui ont produit au XIVe siècle le déclin à l'origine de la colonisation de l'Afrique du Nord, et puis de l'émigration massive de sa population vers l'Europe de l'Ouest. Pour cela il est nécessaire tout d'abord que l'œuvre d'Ibn Khaldoun soit enfin reconnue, étudiée et enseignée, non plus uniquement individuellement par les plus grands penseurs de notre époque (F.Braudel, A. Toynbee...), mais également au sein d'institutions, telles que les universités, mais aussi les manuels d'histoire et de sociologie. Ouvrir à nouveau les portes de l'Histoire Cet anniversaire constitue une occasion exceptionnelle de (re)découvrir, partager et débattre de la pensée et de l'œuvre d'Ibn Khaldoun. Les colloques, conférences, séminaires, voyages dans les villes où il a séjourné (Grenade, Fès, Tlemcen, Tunis, Le Caire...), expositions, concerts, débats, articles, livres, films, etc., ne seront probablement pas de trop pour célébrer, sous toutes ses facettes, un tel événement. L'occasion aussi de rappeler que la présence massive des musulmans en Europe, aujourd'hui, européens à part entière, résulte de cette période cruciale, c'est-à-dire de cette période précoloniale où les sociétés musulmanes ont commencé à basculer hors de l'Histoire. Par ailleurs, la commémoration de cet anniversaire constitue également l'occasion d'exprimer, symboliquement, la volonté (ou assabiya) qu'ont de plus en plus de femmes et d'hommes, rejetant l'immobilisme et la victimisation, d'ouvrir à nouveau les portes de l'Histoire. «Ô toi qui cherches le chemin qui conduit au secret, reviens sur tes pas car c'est en toi que se trouve le secret tout entier.» (Ibn 'Arabi, 1165-1240).