Un village sans école primaire est un village mort. Mouloud Bessa sait très bien ce qu'il avance. Ce quadragénaire est un enseignant de lettres arabes qui occupe également le poste de directeur à l'école primaire d'Ouled Ali, sur les hauteurs de Thénia. C'est grâce à lui et à un enseignant de langue française qu'une quinzaine d'enfants de la région savent lire et écrire aujourd'hui. L'établissement a été réalisé durant l'époque coloniale. Il se trouve au bord de la route– fermée depuis 10 ans - reliant Ouled Ali à Zemmouri, à l'intérieur d'une zone qui fait office de campement militaire. Il jouxte un bureau de poste et une salle de soins fermés depuis plus de 15 ans ainsi que des conteneurs et des bâtisses occupés par les soldats de l'ANP. On est à 500m d'altitude, au sommet des monts qui surplombent la ville de Thénia du sud et Zemmouri El Bahri du nord. L'endroit est magnifique. Aucun civil ne rodait dans les environs. Inutile de sortir l'appareil photo. Les officiers de l'armée ne nous ont même pas laissés passer voir l'école. N'étaient les deux enseignants et une jeune fille employée comme secrétaire dans le cadre du pré-emploi, l'établissement en question serait peut être fermé depuis deux ans. «En 1982, il y avait deux classes de 1ère année d'une trentaine d'élèves chacune», se souvient M.Bessa. «Moi je me rappelle qu'en 1996, les salles étaient pleines», enchaine walid, un jeune d'Ouled Bessa, sis à 2 km de l'école. Il y a 20 ans, la région était très animée. «À l'époque tout fonctionnait à merveille. Il y avait des magasins, deux cafés, un dispensaire, une mosquée…», rappelle walid. Les effets de l'exode commencèrent à se faire sentir durant les années suivantes. Les premiers départs ont eu lieu en 1996, juste après l'assassinat d'un enseignant de Français, natif de Béni Amrane, puis de trois habitants du village, dont Z.Youcef et H.Fateh. Le nombre d'élèves a ainsi baissé de façon vertigineuse. En septembre dernier, seuls 13 élèves s'y sont inscrits, dont 4 en 1ère année, 3 en 2e année, 3 en 3e année et 3 autres en 4e année. Ces élèves sont divisés en deux groupes. Ceux des deux premiers paliers, (1ère et 2e année, ndrl) suivent à tour de rôle deux programmes différents dans une seule classe. Ils sont enseignés par Mouloud Bessa. Leurs camardes de la 3e et 4e année, sont regroupés dans une autre classe. Ces derniers sont encadrés par un certain Toufik, qui leur dispense différemment et les cours d'arabe et les cours de français. Les potaches, leur enseignant de langue arabe et la jeune fille résident tous à Ouled Bessa, localité située à 2 km de l'école. «Chaque matin, on se rencontre à l'entrée du village et on part à l'école ensemble. On s'est mis d'accord que celui qui ne se lève pas tôt reste à la maison. Car s'il viendra seul, les militaires, pour des raisons de sécurité ne le laisseront pas rejoindre l'établissement», explique Mouloud. Cela peut paraître anormal pour de nombreux lecteurs, mais les élèves et leurs enseignants ne voient aucun inconvénient d'évoluer dans un territoire occupé par les soldats de l'ANP. Bien au contraire, ils s'y sentent très en sécurité de par l'isolement et l'absence d'habitants dans les alentours. L'enseignant de langue française, lui, réside à Boudouaou. Généralement il loue un taxi pour rallier Ouled Ali. Il n'a pas le choix puisque la région n'est desservie par aucun moyen de transport. Le soir, une fois sa mission accomplie, il refait le trajet à pied. L'école n'est pas alimentée en eau potable, elle est dotée d'un réfrigérateur, mais pas d'une cantine. À midi, les élèves ont droit à un petit bout de pain, deux portions de fromage et parfois de cacher ainsi qu'un yaourt en guise de dessert. Le directeur reçoit chaque dimanche de la part de l'APC de Thénia ce qui suffit pour la consommation d'une semaine. Les produits, y compris le pain, seront gardés dans le congélateur pour éviter leur péremption. M.Bessa, lui s'est fait le devoir de ramener avec lui un bidon de 5 litres d'eau chaque matin, soulignant que même les potaches portent de petites bouteilles avec eux dans leurs cartables. Mais ces carences n'entament en rien leur volonté d'apprendre et d'aller plus loin dans leurs études. Les élèves et leurs enseignants sont convaincus que le savoir est le meilleur investissement dans la vie. Aujourd'hui, ils se contentent bien de ce qu'ils ont, mais ils nourrissent de grands espoirs d'atteindre un jour ce à quoi ils aspirent.