Juriste et directrice du Centre d'information et d'étude sur les droits des enfants et des femmes (Cidef), Nadia Naït Zaï affirme que les candidats préfèrent surfer entre le conservatisme et le modernisme. Pour que les questions des femmes soient réellement prises en charge dans les programmes politiques, il faut droit que les candidats croient fermement en l'égalité entre les citoyens, aient réellement envie de construire une société juste, égalitaire, où les droits des femmes et des hommes sont respectés. -L'égalité entre femme et homme n'a pas été au centre des débats de cette campagne électorale. Pourquoi, selon vous ? L'égalité entre hommes et femmes n'a pas été au centre des débats de cette campagne électorale car les enjeux politiques mis en avant par les candidats ne laissent aucune place à une proposition de programme politique fondée sur cette valeur. Les propositions de développement économique, politique et autres faites par les candidats doivent intégrer la dimension genre et être conçues pour l'ensemble de la société. Or, ce n'est pas le cas. Ce que nous avons aujourd'hui dans les propositions, ce sont des déclarations de bonnes intentions à l'égard des femmes sans grandes conséquences. Dans l'un des programmes lu, il y a une phrase qui, à elle seule, démontre la difficulté des candidats à faire des ruptures et même à nous proposer un projet de société moderne. «Le projet accorde toute sa place à la femme algérienne, une femme de son temps, mais imprégnée de ses valeurs ancestrales.» Quoi de mieux que de rappeler à la femme la dichotomie le statut dans lequel elle est actuellement, citoyenne dans l'espace public, incapable juridique dans l'espace privé (famille). -Comment expliquer que les questions relatives au code de la famille, source de toutes les inégalités, ne soient pas parmi les priorités des candidats ? Je pense que les candidats préfèrent surfer entre le conservatisme et le modernisme, car cela reflète leur vision de la société qui, d'ailleurs, leur échappe. Ils n'ont aucun problème à parler aisément de progrès scientifique, industriel et autres qu'à aborder la question de l'émancipation des femmes. C'est certainement à cause de l'électorat conservateur qu'ils courtisent. Pour que les questions des femmes soient réellement prises en charge dans les programmes politiques, il faut que les candidats, ou ceux qui ont rédigé pour eux ce programme, croient fermement en l'égalité entre les citoyens, aient réellement envie de construire une société juste, égalitaire où les droits des femmes et des hommes sont respectés. Mais pour savoir s'ils s'approprient les questions relatives à la situation de la femme, il faudrait connaître leur position par rapport au devenir des règles du droit musulman qui sont la source du code de la famille, résultat de la discrimination et violence à l'égard des femmes et leur position par rapport à la séparation du politique et du religieux. Les femmes algériennes sont prisonnières du déni, du refus de réflexion. Lorsqu'une réponse nous sera donnée sur ces deux points, l'espoir pour les femmes d'être citoyenne à part entière renaîtra. -Pourquoi, d'après vous, le débat sur les questions d'égalité est absent de la campagne ? Parce qu'il n'a pas été abordé ni proposé par les candidats comme il n'a pas fait l'objet de rencontres organisées par le mouvement associatif avec ces derniers. Du reste, les médias ou journalistes spécialisés sur ces questions ne l'ont pas non plus développé. Par ailleurs, d'autres priorités politiques ont émergé, ce qui a permis aux candidats d'esquiver la référence à cette valeur qui fait peur, sur cette valeur qu'on a du mal à comprendre, sur cette valeur que l'on ne doit pas diminuer parce que certains pensent qu'ils vont perdre leurs droits. La question à leur poser est : sont-ils capables de nous proposer une déconstruction du droit musulman, source d'inégalité, dont les règles, à la limite de l'archaïsme, sont contenues dans le code de la famille ?