La lutte pour la révision ou l'abrogation du code de la famille depuis 20 ans a toujours eu une forte adhésion de la société civile. Les grandes manifestations organisées depuis 1984, date de l'adoption du code de la famille, à chaque célébration de la Journée mondiale de la femme, le 8 mars, et toutes les actions menées par les femmes, soutenues par beaucoup d'hommes, en sont la preuve. L'élan de solidarité a dû être freiné durant toutes les années du terrorisme où les femmes constituaient les cibles des terroristes. Ces derniers ne sont pas arrivés à arrêter ces femmes convaincues de poursuivre le combat et qui continuaient, à cette époque, de lutter sur deux fronts : le code de la famille et le terrorisme. Nul n'oubliera la grandiose manifestation des femmes organisée à Alger en 1994 pour dénoncer le terrorisme. Sur le chapitre code de la famille, plusieurs actions, rappelons-le, ont été menées pour dénoncer les articles discriminatoires que comporte ce texte de loi. Des associations amies se sont fait les relais auprès de la communauté algérienne vivant à l'étranger, notamment en France où plusieurs Algériennes subissent le code de la famille. Outre les marches et les rassemblements devant l'APN, des pétitions (1 million de signatures pour le droit des femmes dans la famille), des conférences-débat, propositions d'amendement au gouvernement (les 22 amendements), les cent mesures et dispositions élaborées par le collectif Maghreb Egalité, des rapports sur les effets du code de la famille, des études et des enquêtes sur le terrain ont été initiés. Conscients de la justesse de la revendication, des femmes, des hommes, des jeunes et des anonymes ont fait leurs certaines actions et ont réellement contribué à atteindre le maximum de citoyens et citoyennes. L'enquête réalisée en novembre 2000 par le collectif Maghreb Egalité sur le thème « Degré d'adhésion aux valeurs égalitaires au sein de la population algérienne » auprès d'un échantillon représentatif de la population algérienne (1220 personnes) sur le degré d'adhésion aux valeurs d'égalité entre hommes et femmes est édifiante. Toutefois, la grande majorité de la population serait malgré tout prête à élire une femme maire ou députée, mais plus réticente à élire une femme président. Cette enquête a également montré qu'il existe une majorité écrasante de la population qui serait disposée à ce que la femme divorcée puisse rester dans le domicile conjugal avec ses enfants. Toutefois, en ce qui concerne la question de la garde des enfants après le divorce, 4 Algériens sur 10 pensent que le père et la mère doivent être également concernés par cette garde, alors que 6 sur 10 sont pour que la mère garde ses enfants lorsqu'elle se remarie. L'enquête, qui s'est déroulée dans 18 wilayas précédée d'une préenquête, a révélé que les femmes sont considérées comme de fortes concurrentes sur le marché de l'emploi. Sur la question du divorce, 80% des Algériens seraient apparemment favorables à ce que la femme ait le même droit au divorce que l'homme. 3% sont sans opinion ou ont refusé de répondre. « La ventilation par sexe montre que ce sont quand même les femmes plus que les hommes qui soutiennent un droit au divorce égalitaire (88% d'entre elles contre 70% chez les hommes). A contrario, on compte 27% de la population masculine qui défendent le divorce unilatéral contre 10% au sein de la population féminine », relève-t-on. Quant à la garde des enfants, l'écrasante majorité de la population interrogée affirme que l'épouse qui a la garde des enfants doit rester au domicile conjugal. Même si les femmes demandent plus ardemment ce droit que les hommes (98% contre 81%), il n'en demeure pas moins que la part des réponses favorables de la population masculine est très appréciable. Ils ne sont que 13% à refuser ce droit. A propos du mariage, polygamie et tutelle des enfants, la population ayant répondu aux questions renvoie le consentement du tuteur au mariage à une exigence qui est modulée selon l'âge de la femme. « On passe outre au consentement du père si on craint que sa fille/sœur ne puisse convoler après un âge socialement tardif (30 ans). Avant cette « contrainte » d'âge, la règle redevient incontournable », signale-t-on. Près de 2 personnes sur 10 seraient quand même prêtes à l'enfreindre dans le cas d'une femme âgée de moins de 30 ans. Concernant la polygamie, 6 hommes sur 10 et 8 femmes sur 10 refusent de vivre dans un cadre polygame et la moitié des Algériens sont favorables à la suppression de la polygamie. 86% des femmes mariées interrogées déclarent qu'elles n'accepteraient pas d'être une seconde épouse et, 13% des femmes mariées accepteraient de vivre dans un couple polygame avec ou sans conditions. Pour la tutelle des enfants, un peu plus de 7 Algériens sur 10 sont favorables à une tutelle conjointe (père et mère) des enfants. A propos de l'héritage et de la donation, un peu plus de 3 hommes sur 10 et 7 femmes sur 10 sont favorables à un partage égalitaire de l'héritage entre frères et sœurs et 6 Algériens sur 10 sont prêts à pratiquer la donation de leur vivant. La violence conjugale est, quant à elle, dénoncée par la moitié des Algériens tandis que l'autre moitié la justifie dans certains cas. En conclusion, l'étude a montré que seule une faible minorité, totalisant moins de 5% de la population féminine, campe sur ses positions traditionnelles fondées sur la domination masculine. Plus de 35% de la population féminine se situent au niveau le plus élevé de l'adhésion aux valeurs égalitaires. Entre ces deux segments, 60% de la population féminine se situent dans la position intermédiaire. Chez les hommes, la distribution est moins favorable avec 16% dans la première catégorie et seulement 18% dans la deuxième. L'intermédiaire totalise 66%. Cette analyse, qui prend la forme d'un plaidoyer en faveur des droits des femmes, est plus que significative sur l'évolution de la société algérienne depuis dix années.