Hypone Steel, dont le patron est actuellement en fuite à l'étranger, est une société privée qui a défrayé la chronique à Annaba. Après la note du ministère de l'Intérieur demandant l'ouverture d'une enquête au niveau local, c'est au tour de la chancellerie de saisir le parquet de cette ville pour lever le voile sur ce qui s'apparente à une opération d'escroquerie, dont a été victime l'agence 44 de la Banque extérieure d'Algérie (BEA) à Annaba. Après avoir bénéficié d'un prêt bancaire de 1,65 milliard de dinars, sur la base de l'hypothèque d'une usine de fabrication de treillis soudés, de l'équipement, le patron d'Hypone Steel, Ammar Traia (et ses associés qui sont des membres de sa famille) s'est installé en France, via la Tunisie. Les garanties mises en action par la banque se sont avérées largement en deçà du montant prêté, auquel il faut ajouter le non-paiement des cotisations de la sécurité sociale qui avaient atteint 28,688 millions de dinars. L'opération de mise aux enchères publiques de l'usine un jour férié n'a rapporté que 120 millions de dinars à la banque, alors que les deux villas appartenant au propriétaire de la société (mises en garantie) ont été vendues par ce dernier quelques jours seulement avant son départ à l'étranger sans que la banque puisse avoir le temps de faire opposition. Les investigations menées par la brigade économique de la sûreté de wilaya de Annaba, au niveau de la direction régionale de la BEA, n'ont pas pour autant expliqué comment les services de cette institution n'ont pas mis en action les procédures nécessaires pour bloquer les prêts accordés à l'opérateur en dépit des bilans négatifs annuels de son usine qui ont atteint pour l'année 2003 (selon les états présentés à la banque) 330 millions de dinars. « Hypone Steel a continué malgré cela à bénéficier de nouveaux prêts sans qu'elle s'acquitte de sa dette principale et des ses intérêts jusqu'à ce que le montant atteigne 1,6 milliard de dinars », a déclaré un cadre exerçant à la direction régionale de la BEA Annaba. Notre interlocuteur n'a pas voulu s'expliquer sur le fait que la banque n'a pas réagi à la suite de la vente par le propriétaire de ses deux villas, mises pourtant en garantie dans le cadre de l'octroi des prêts. PRÉJUDICE Il a reconnu néanmoins que la décision de mettre le dossier de cet opérateur privé sur le bureau du juge des référés au tribunal de Berrahal, pour obtenir la saisie de ses biens, « est arrivée un peu tard. Une fois que le patron d'Hypone Steel a transféré tous ses fonds à l'étranger... ». Les services des impôts ont, pour leur part, réclamé à Traia quelque 200 millions de dinars, qui concernent l'activité de son autre usine, Alpha, de fabrication de clous, située à Berrahal. « Cette usine, qui fabrique des clous, subira le même sort qu'Hypone Steel et son état très vétuste ne rapportera qu'une somme dérisoire à la banque. L'opérateur avait bénéficié d'un prêt dans le cadre du renouvellement de ses équipements. Les machines et les outils qu'il a acquis ont été surfacturés. L'expertise a révélé qu'il s'agit de biens de mauvaise qualité », a déclaré ce cadre de la BEA. Il a précisé que les services des impôts et de la sécurité sociale sont prioritaires sur les fonds provenant des saisies des biens d'Hypone Steel et d'Alpha dans la mesure où leur contentieux avec les deux sociétés, appartenant à Ammar Traia, s'élève à près de 175 millions de dinars. « La banque restera la grande victime de cette arnaque économique », a noté un responsable de la BEA Annaba, nouvellement installé. Cette affaire a fait réagir le propriétaire originel de la société Alpha, qui a déclaré à la presse avoir été victime d'un « complot et d'une escroquerie ». La Sarl Alpha, a-t-il expliqué, a été créée à El Bouni en 1996 et devait « initialement produire de l'insuline grâce à une participation technique et financière du laboratoire américain Elly Lilli ». « Le ministère de la Santé m'a signé une autorisation pour cette usine qui devait s'étendre sur un terrain de 2800 m2 à El Bouni, acquis en 1990. En 1994, des problèmes financiers ont surgi, Ammar Traia m'a proposé de m'associer au capital de l'unité de fabrication de seringues jetables prévue également dans le projet, notamment dans la confection de l'aiguille. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé par la suite au centre d'une affaire de chèque sans provision, pour laquelle j'ai passé 1 mois et 17 jours en prison. Lorsque j'ai été libéré, je fus informé que mon usine avait été prise par Ammar Traia, et son activité s'est transformée en fabrication de clous. J'ai tenté de connaître les dessous de ces changements, j'ai reçu des menaces de mort de la part d'un officier du secteur militaire, qui était très proche de Traia. Il m'avait clairement sommé de quitter la ville de Annaba et de ne plus y revenir. J'ai eu très peur et j'ai fini par rejoindre Alger. Les prêts bancaires accordés par la BEA à la Sarl Alpha ont finalement été détournés pour servir à la création d'Hypone Steel, laquelle a été équipée grâce à des prêts bancaires », a déclaré à la presse M. Alouche, ancien patron de la Sarl Alpha. Au-delà du préjudice causé au Trésor public, l'affaire d'Hypone Steel remet sur le tapis la lancinante question de la facilité avec laquelle certains opérateurs publics ont pu obtenir des prêts bancaires auprès d'institutions financières publiques qui leur ont servi à s'installer à l'étranger au détriment de l'économie locale. Ammar Traia, faut-il le préciser, n'est qu'un exemple parmi tant d'autres qui n'aurait jamais existé si, quelque part, il n'y avait pas eu de complaisance, voire des complicités au niveau des banques et des autorités locales de Annaba.