A l'occasion du renouvellement des conseils des Ordres des avocats, et ne m'étant pas portée candidate surtout en vertu du sacro-saint principe de l'alternance, je me sens interpellée pour apporter ma contribution dans la perspective d'une réhabilitation effective de la profession d'avocat. Cette contribution est un droit que légitime mon élection au conseil de l'Ordre des avocats à la majorité absolue au premier tour pendant cinq mandats successifs sans recourir ni au système de listes ni à une quelconque campagne de sensibilisation ou autres. Cette contribution est également un devoir eu égard à l'expérience que j'ai capitalisée au cours de 15 ans de mandature pendant lesquels j'ai servi la profession avec dévouement et droiture, connus et reconnus par mes pairs, expérience que je m'attelle à transmettre aux nouveaux et futurs membres des conseils des Ordres des différents barreaux à qui j'inspire l'émulation. Mon propos consiste à attirer l'attention sur le dysfonctionnement de la profession et l'état de déliquescence (constatés par l'ensemble des avocats) qui la gangrènent pour permettre à la masse des avocats de tirer des enseignements afin de bannir la médiocrité et rehausser l'image de l'avocat. En effet, l'engouement démesuré de certains avocats pour le titre de membre du conseil et a fortiori du bâtonnier révèle leur méconnaissance du rôle de ces derniers qui requièrent la disponibilité, des capacités intellectuelles, de la correction dans le langage, dans la tenue et dans le comportement, la crédibilité, l'abnégation de soi et le courage de prendre parfois des positions qui fâchent et de proscrire toute velléité d'en user pour faire du business. Si certains avocats concevaient à juste titre la mission d'un membre du conseil, ils doivent être sollicités et même se faire prier par leurs pairs pour se porter candidats tellement la mission de membre du conseil demande des sacrifices. Cependant, c'est l'inverse qui se produit, ils s'autoproclament candidats et procèdent à des campagnes de séduction pour se faire élire ou réélire, car cette course au siège du conseil de l'Ordre est quasiment motivée par les privilèges qu'ils y entrevoient, en l'occurrence la notoriété pour amasser plus d'affaires, surtout les plus lucratives, un supposé pouvoir qui leur permet de faire aboutir leurs actions par les relations qu'ils tissent de par leur statut de membre du conseil de l'Ordre des avocats, ainsi que de jouir d'une certaine immunité et avoir de l'emprise sur les jeunes avocates, surtout. C'est pareil pour la masse des avocats qui font des choix subjectifs et versent ainsi dans le laxisme et l'irresponsabilité en faisant émerger du «tout-venant». Ce système qui perdure engendre un conseil de l'Ordre qui sème beaucoup plus le désordre dans la corporation au point de lui faire perdre toute la noblesse qui la caractérise. Malheureusement, comment admettre que règne une autorité morale au sein de la corporation alors qu'une multitude d'avocats : - perçoivent la profession comme un moyen d'enrichissement coûte que coûte au mépris de toute éthique ; - ne possèdent pas de cabinet pour recevoir au moins leurs clientèles qui les cherchent désespérément ; - exercent dans des endroits non conformes ; - racolent la clientèle n'importe où, n'importe comment et pour n'importe quel prix ; - détournent la clientèle de leurs confrères et consœurs sans aucun scrupule ; - fixent des honoraires exorbitants ou dérisoires sans commune mesure avec les affaires traitées ; - arborent des toges (robes) débraillées ou les accommodent en accoutrements de théâtre ; - affichent des comportements qui relèvent des scènes de fiction ; - manquent au devoir de confraternité et de solidarité entre avocats ; - manquent de déférence envers les aînés ; - faillissent à l'encadrement des jeunes et à leur transmission de savoir et de valeurs. Comment admettre que les conseils des Ordres veillent à la préservation de la noblesse et de l'épanouissement professionnel de la corporation lorsque la majorité des conseils des Ordres : - s'érigent en club privé qui se donne comme vocation la pratique du foot et l'organisation d'événements festifs (alibi d'un semblant d'activité qui fait, entre autres, de la Journée de la femme une occasion de manger et de danser sans faire le bilan des acquis et des revendications qui restent à satisfaire : fais-toi belle et tais-toi) pour ratisser large parmi le futur électorat de plus en plus jeune et qui affectionne la farniente intellectuelle parce que c'est tout ce qu' on leur a transmis ; - ne définissent les tâches ni des membres du conseil ni du personnel employé ; - n'établissent aucun programme de travail ni à cours, moyen ou long termes ; - n'organisent ni séminaire ou journée d'étude, ni conférence, ni atelier de travail, ni mise à niveau, ni rencontres-débats entre avocats ou avec des magistrats sur des questions de droit qui surgissent de la pratique de la profession ; - ne recensent pas et ne suivent pas les problèmes que rencontrent les avocats dans l'exercice quotidien de leur profession ; - ne font fonctionner la commission de discipline que pour les règlements de comptes des avocats qui ont des inimitiés avec certains membres du conseil ou leurs amis ; - n'inscrivent à l'ordre du jour des réunions du conseil que le nomadisme des avocats ; - bradent la profession d'avocat en ouvrant des sessions d'admission anarchique où tout postulant est admis contre 50 000 DA de frais d'inscription pour renflouer la cagnotte quitte à : - attribuer 8 stagiaires par cabinet ; - accepter des domiciliations fictives ; - affecter des stagiaires à des avocats inaptes et/ou sans moralité ; - a ne pas assurer le suivi des stagiaires dont la plupart rejoignent leurs anciennes activités après la prestation de serment ou disparaissent dans la nature et ne réapparaissent qu'à la levée de stage qui est prononcée systématiquement pour tous. Pour cette attitude que je qualifie d'irresponsable et de méprisante vis-à-vis des avocats stagiaires, j'estime judicieux de relater une anecdote. Au courant de mon premier mandat (1998-2001), au cours d'une séance d'examen de dossiers de levée de stage, je me suis opposée à la levée de stage d'une stagiaire qui n'a pas effectué son stage après avoir constaté qu'elle n'a jamais fréquenté le cabinet du maître de stage avec la confirmation de celui-ci, qu'elle n'a pas fréquenté les juridictions, qu'elle s'est toujours absentée aux conférences, et qu'aucun autre membre du conseil n'étant en mesure de me contredire sur cette vérité. Néanmoins, la majorité des membres du conseil ont voté pour sa levée de stage au motif qu'elle a demandé son transfert à un autre barreau, prétexte fallacieux bien sûr, car il s'agirait de la fille d'une personnalité. N'empêche qu'un mois environ après sa levée de stage, elle a été poursuivie et écrouée à la maison d'arrêt pour escroquerie avec la complicité d'un gardien de prison au motif qu'elle promettait aux détenus qu'elle obtiendrait leur relaxe moyennant de grosses sommes, dont une partie sera remise d'après elle au magistrat présidant l'audience de jugement. Elle a passé une année de détention préventive et le barreau dont elle est issue l'a reniée au motif qu'elle a fait son transfert de même que son nouveau barreau au motif qu'elle n'a jamais déposé son dossier de transfert, car celui-ci est remis en personne à l'intéressée qui en fait ce qu'elle veut. Et ce qu'elle a voulu, elle l'a fait. Elle n'avait même pas de cabinet et s'est mise à exercer la profession d'avocat à sa façon, car le conseil de l'Ordre lui a fait rater sa chance de l'y préparer et en a fait une victime d'un rêve et d'un avenir brisé en voulant lui rendre service, et combien d'autres stagiaires ont subi le même sort. - N'exigent pas les visites de courtoisie des membres du conseil par les postulants à la profession d'avocat, alors qu'elles sont déterminantes dans l'apprentissage de la déontologie. Le paradoxe, c'est qu'il y a certains membres du conseil, ce sont eux qui font la visite de courtoisie aux stagiaires proches des personnes auprès de qui ils peuvent trouver un quelconque intérêt ou s'il s'agit de la gent féminine qui leur semble avenante. - Ne possèdent pas de charte de déontologie qui fixerait l'avocat dans la conduite à adopter dans le cadre de l'exercice de la profession et même en dehors, ce qui permettrait de moraliser la corporation et ne pas donner libre cours à tous les abus. - Ne sont nullement préoccupés par l'amélioration des conditions de travail des avocats en supprimant les contraintes injustifiées pour éviter de jouer aux pompiers et d'engendrer par leur manque de prévention des incidents ridicules. - Ecartent les membres du conseil qui ont le courage de dénoncer les agissements malveillants des autres membres du conseil qui exercent leur diktat. - Vont à des séminaires ou AG de l'union organisés épisodiquement non pas pour participer en contribuant aux débats ou tout au moins en écoutant les intervenants et non, ils désertent l'hémicycle et ne réapparaissent qu'au moment des repas pour se servir les premiers en signalant au passage qu'il y a même qui se permettent de se faire accompagner par des proches, conjoint, enfants, amis, aux frais du barreau. - Ne coordonnent pas leurs actions avec d'autres barreaux et j'illustre cette défaillance par le projet de la loi portant organisation de la profession d'avocat qui a duré 13 ans pour être votée après avoir subi une kyrielle de moutures au gré de ses artisans. Faudrait-il autant d'années pour faire aboutir ledit projet si les conseils des Ordres des différents barreaux étaient unis et animés de la volonté d'éradiquer les maux qui rongent la profession ? Cependant, cet événement a démontré le mépris que ressentent les avocats entre eux, sinon comment expliquer que ni la masse des avocats, ni certains membres du conseil n'ont pas été associés à l'élaboration du projet qui, de temps en temps, ressort à l'ordre du jour des réunions des conseils des Ordres ou des assemblée générales de l'union, mais sans prise en charge réelle. Ce qui a donné l'occasion de remettre en cause certaines dispositions et en introduire d'autres en fonction des desiderata des bâtonniers surtout et partenaires au niveau du ministère de la Justice qui se sont succédé. Malgré tout ce temps démesuré qu'a pris la confection de la nouvelle loi, son contenu révèle l'absence d'empreinte de la masse des avocats, car elle n'a introduit aucune disposition substantielle en faveur des avocats ou de l'œuvre de justice d'une manière générale. Quant à l'article 25 qui a alimenté une polémique injustifiée, je ne vois pas son opportunité, car dans la pratique il ne se produit pas d'incident d'audience qui nécessite d'être réglementé comme si les avocats et les magistrats n'étaient pas des professionnels unis par le même objectif qui est le respect de la légalité en toute sérénité. S'agissant de l'article 23 alinéa 3, il reflète l'état d'esprit de ses artisans qui ne considèrent la profession que comme un moyen d'assouvir leur insatiabilité pécuniaire. Cette disposition, qui prévoit «un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou service rendu», est un non-sens, car la mission de l'avocat est par essence d'obtenir un résultat ou de rendre service. Alors pourquoi dénaturer la fonction de l'avocat en faisant le distinguo entre résultat positif et négatif ? L'avocat digne de ce nom ne doit s'engager dans une cause que lorsqu'il estime objectivement que celle-ci est défendable juridiquement et pour laquelle il est tenu d'apporter toute sa diligence et non compter sur la providence pour un résultat positif qui lui donnera droit à un bon point «honoraire complémentaire». D'ailleurs, cette disposition est en contradiction avec le texte de l'article 17 qui interdit à l'avocat de prendre un intérêt quelconque dans les affaires qui lui sont confiées. Un honoraire complémentaire n'est-il pas une prise d'intérêt qui n'est pas justifiée au demeurant ? Par contre, il aurait été plus opportun de baliser la tarification des honoraires en fixant des garde-fous tels que les seuils minimum et maximum en tenant compte de la nature de l'affaire, de l'éloignement, du nombre d'audiences qui ne sont pas dues au report volontaire de l'avocat et ceci pour sortir de l'embarras certains avocats et éradiquer l'anarchie en matière d'honoraires entretenue par d'autres. Toutes les anomalies que je viens d'énumérer ne constituent que la partie visible de l'iceberg. Toutefois, mon souci est de démystifier le statut du membre du conseil, y compris du bâtonnier tel que perçu jusque-là par ceux qui le revêtent et par l'ensemble des avocats. Je conçois un membre du conseil comme un moyen organique au service de l'ensemble des avocats pour faire aboutir leurs doléances consensuelles et s'évertuer à rechercher sans cesse leur épanouissement professionnel. Pour réaliser cet objectif, le membre du conseil doit être mu par l'intérêt général de la profession et le respect de l'avocat et ne pas utiliser son statut pour ses intérêts personnels. Et pour rappeler à l'ordre les membres du conseil qui détournent leur mission, l'ensemble des avocats (électeurs) ont un plus grand rôle à assumer, c'est celui d'exercer leur droit de regard sur l'activité des membres du conseil en : - demandant à consulter les PV de réunion, les documents comptables ; - en émettant des avis et faisant des propositions ; - en interpellant un ou plusieurs membres ou le conseil ou le bâtonnier, selon la nécessité ; - en faisant des motions d'encouragement ou de retrait de confiance. C'est dans cette dialectique que sera bannie la médiocrité des conseils des Ordres qui refléteront un ensemble d'avocats conscients et avertis de la noblesse effective de la profession dont ils doivent être fiers d'exercer.