Le nombre et la qualité des cinéphiles de Souk Ahras trouvent leur explication dans sa tradition cinématographique bien ancrée chez sa population et qui remonte haut dans l'histoire. En 1950, la ville avait déjà sa première salle de cinéma sise à l'actuelle rue des Fidayine. Hormis les quatre grandes villes de l'époque, peu de cités de son envergure pouvaient prétendre à telle nouveauté à l'époque. Quelques mois après la réussite du projet chez le propriétaire du local, un certain Denis, qui était réparateur de bicyclettes, l'idée fait des émules chez d'autres Européens. Au lieu d'une salle, la ville en aura trois : «Le Royal», «Le Mondial» et «Le Colisée». En plus des sorties familiales, une séance hebdomadaire pour femmes s'affirmaient dans un contexte de conservatisme extrême, que le professionnalisme des gérants des salles de l'époque ont pu bousculer. Dames et jeunes filles y allaient en m'laya, mais sortaient quand même. Une séance était suffisante pour apprendre par cœur la dernière chanson de Farid El Atrache ou imiter dans l'intimité des maisons à patio, Samia Gamal, la danseuse et actrice au charme ravageur. Du «Colisée» et du «Mondial» il n'en reste que le souvenir impérissable d'une période que les gens regrettent pour des vertus autres que le spectacle lui-même. En 2014 les familles sont plus casanières qu'en 1950 et le conservatisme d'antan ne portait guère l'actuelle teinte où s'enchevêtrent insécurité, misogynie et idéologie maladive. Récupérés par des privés, on en parle dans l'imparfait. La seule structure qui a pu résister au transfert de propriété, a été transformée en musée du cinéma (cinémathèque), et c'est tant mieux. Une cinémathèque pour perpétuer la tradition La salle restante, après avoir vécu de longues péripéties allant de la nationalisation en 1974 au transfert vers le centre algérien d'industrie cinématographique (CAIC), en passant par l'APC et une période sèche d'une opération de remise en activité restée sans suite, a été réhabilitée en 2012, pour, enfin, redonner espoir aux milliers de citoyens qui voyaient venir les prédateurs de l'immobilier. Le coût du projet de réhabilitation qui a inclus la remise à niveau d'une autre salle au même immeuble est estimé à150 millions de dinars. Affecté au centre algérien du cinéma (CAC), musée du cinéma qui emploie actuellement plus de neuf personnes, il assure une projection gratuite et bi- quotidienne de films à thème. «Notre objectif consiste, d'abord, à inciter la population locale réputée pour ses traditions cinématographiques à renouer avec des comportements positifs avec lesquelles elle est en rupture depuis des décennies», a déclaré Amor Manaâ, le directeur de la culture de la wilaya de Souk Ahras. Il a, toutefois, déploré le manque des cinéphiles malgré la qualité des productions proposées. «Les gens de Souk Ahras et ceux de plusieurs autres villes ont carrément oublié le cinéma et c'est à nous tous, administration, mouvement associatif, professionnels, universitaires et hommes de culture qu'incombe le rôle de perpétuer la tradition, notamment à Souk Ahras (…) ; pour ce qui est de la direction de la culture, elle est disposée à réunir toutes les conditions pour que les citoyens reprennent goût au spectacle», a-t-il ajouté, tout en proposant l'implication d'un club pour la mobilisation et l'introduction d'un espace de débat à partir des films de renommée qui sont finalement à la portée grâce à cette nouvelle structure. Aïssa Djouamâ, réalisateur de cinéma est, à son tour, favorable au lancement des activités d'un ciné-club, -voire au lancement de plusieurs autres activités- qui inciterait le public au déplacement vers le musée du cinéma. «Pour parler cinéma, on doit voir la qualité des représentants du mouvement associatif, de l'étudiant, de l'intellectuel, des assises intellectuelles et du cadre dans lequel nous devons évoluer», a-t-il déclaré en réponse à notre question au sujet de l'absence du public. Un mouvement associatif qui limite son effort à quémander le fonds de wilaya, des universitaires qui font la chaîne pour les allocations en devises, des étudiants qui proposent aux partis politiques leur fougue juvénile moyennant dividendes, un citoyen lambda qui passe six heures à l'état-civil pour le retrait d'un extrait de naissance et un autre qui pense emploi et logement… font partie des contingents déserteurs du cinéma.