Membre fondateur de la Cinémathèque algérienne(1) dont il est directeur de 1965 à 1979, Ahmed Hocine est un des témoins des péripéties vécues par le cinéma algérien post-indépendance. Il quitte « volontairement » la direction de la cinémathèque. En 1992, il prend sa retraite. Cependant, il est rappelé en 1994 au Centre algérien de l'art et de la l'industrie cinématographique (CAAIC), alors en crise. Il démissionne en 1996. Le CAAIC est dissous en 1998. Il a vécu dix ans. Dans cette courte entrevue, Ahmed Hocine nous livre son constat sur le parc cinématographique algérien. Le parc cinématographique algérien est dans une situation catastrophique au point où une partie de ce patrimoine a disparu... Après l'indépendance, nous avons un parc enviable. A Alger, à titre d'exemple, on a recensé 54 salles de cinéma. Elles sont dotées de toutes les commodités. Le processus de destruction de ces dalles a commencé en 1964. Cette année-là, le président Ben Bella proclame la nationalisation de ce patrimoine – une décision à courte vue – La même année, il crée le Centre national du cinéma algérien (CNCA) qui a pour mission la distribution, la production, la formation et surtout assurer l'équipement des salles de cinéma. Nos responsables à l'époque croyaient qu'avec les recettes des salles, nous lancerons le cinéma algérien. Avec le temps, ils se sont rendu compte qu'il faut des moyens financiers énormes pour cela. En 1966, j'ai assisté au ministère de l'Intérieur à une réunion interministérielle pour débattre de l'idée relative à la concession aux communes de l'exploitation des fonds de commerce de spectacles cinématographiques. idée à laquelle je me suis opposé. J'ai dit qu'il y a un risque à courir quant à rendre effective une telle vision. Après mon intervention, un responsable m'a dit que le ministère de l'Information – ma tutelle – a déjà donné son accord pour céder les salles aux communes. J'étais sidéré. Je me suis rendu compte que j'ai parlé pour rien. Ainsi sont cédés ces espaces aux communes. Ceux qui les gèrent n'ont aucun rapport avec le cinéma. La fraude se développe à cause, entre autres, des billetteries parallèles, alors que dans le passé, il y avait des inspecteurs de contrôle. La billetterie était unifiée. Suivent les vols et la dégradation. Avec le temps, les responsables locaux constatent que ces salles deviennent pour eux un fardeau sur le plan financier. Ils cèdent alors ces espaces en location à des particuliers, une manière de s'en débarrasser. Mais il faut beaucoup d'argent pour se procurer des films à projeter. Des gérants ont aménagé des gargotes en ces lieux pour vendre des casse-croûtes. Des films pornographiques y sont projetés. Ainsi, ces salles se sont transformées en foyers de débauche, des repères de voyous. Durant toute cette période, rien n'a été fait pour mettre fin à une telle situation. Est-il possible de sauver et de réhabiliter, du moins, une partie de ce patrimoine ? Les quarante ans de gestion désastreuse du parc cinématographique algérien ont causé la perte du réflexe d'aller au cinéma. Les gens sont habitués à la télévision. On se demande aujourd'hui s'il existe un public cinéphile ? S'il existe, qu'est-ce qu'on lui propose comme films ? Avant, il y avait l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (ONCIC). Il s'occupait, entre autres, de la distribution et de la production. Au début, il a bien assumé sa mission mais par la suite, il est devenu une source de corruption. Puis on a décidé de créer le Centre algérien de l'art et de l'industrie cinématographique (CAAIC)(2) qui avait les mêmes attributions que l'ONCIC. Il finit par être dissous. Aujourd'hui, la réhabilitation des salles n'est qu'un coup d'épée dans l'eau, et relancer le cinéma exige de la rigueur et une vision à long terme. La situation actuelle me laisse sceptique. A vous entendre, il est inutile de réhabiliter les salles si l'activité cinématographique n'est pas relancée... Dans le passé, au moins 80% des films projetés sont importés. Les films étrangers coûtent cher. Entre-temps, l'Algérie n'a pas produit beaucoup de films, car on n'avait pas les moyens d'en produire. En plus, il est nécessaire de prendre en considération le critère de qualité. Ainsi, que faire d'un parc cinématographique si on est incapable de l'approvisionner en films. 1) La Cinémathèque algérienne est créée par l'article 9 du décret du 8 juin 1964 relatif au Centre national du cinéma algérien (CNCA). 2) Le CAAIC est créé en 1988. L'arrêté portant dissolution du CAAIC est promulgué le 25 novembre 1997 et prend effet le 1er janvier 1998.