Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a mis en garde hier le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, de triturer la Constitution pour s'offrir un 3e mandat. Usant, certes, de formules diplomatiques, John Kerry n'en a pas moins montré la ligne rouge au jeune président Kabila, clairement tenté par un coup d'Etat constitutionnel, comme l'ont fait beaucoup de dignitaires africains, dont Abdelaziz Bouteflika. A 42 ans, dont 13 ans à la tête du Congo qu'il a «hérité» de son père en 2001, Joseph Kabila pense avoir de «beaux restes» pour garder son trône à Kinshasa au-delà de 2016. Mais il doit faire sauter le verrou de la limitation de mandats conformément à la Constitution. Pas sûr qu'il puisse y arriver comme l'a fait avant lui le Camerounais Paul Biya. Le propos de John Kerry sonne en tout cas comme un avertissement que Kabila fils devrait prendre au sérieux, tout comme son «cousin germain» du CongoBrazzaville, Denis Sassou Nguesso, le Rwandais Paul Kagame et le Burundais Pierre Nkurunziza. En Afrique, presque tous les pays s'appellent «république démocratique». Mais ce vocable cache mal des régimes autocratiques qui, très souvent installés par les anciennes puissances coloniales, asservissent leurs peuples au nom des principes de Montesquieu. Ce sont, à quelques exceptions près, des républiques désincarnées, où le pouvoir est confisqué de force jusqu'à ce que mort s'ensuive. Et dans certains pays, la succession dynastique est érigée en dogme politique, défiant les règles élémentaires du droit constitutionnel et des sciences politiques. Ce fut précisément le cas en RDC où Joseph Kabila a succédé au pied levé à son père, Laurent, décédé, ou encore au Gabon où Ali Bongo a pris «démocratiquement» le fauteuil de son père Omar qui s'était éteint en 2009. Tout se passe comme si les peuples d'Afrique, qui ont été pillés et colonisés des années durant, devaient continuer à se contenter d'un ersatz de démocratie. Au nom de la «Françafrique» et de la sauvegarde des intérêts vitaux des anciennes puissances coloniales, l'Occident a fermé l'œil sur les méfaits de ces apprentis dictateurs qui ont fait et font encore des dégâts dans leurs pays. Que vaut la Constitution dans ces contrées d'Afrique quand elle subit, à intervalles réguliers, des cures de chirurgie esthétique pour la remettre au goût du potentat local ? Que John Kerry invite son hôte à «respecter l'ordre constitutionnel» en RDC est en soi une bonne chose. Mais rien ne dit que Washington joindra le geste à la parole si le jeune Kabila tentait un coup de force. Qui ne se souvient du discours mémorable du président Obama à Accra, en 2008, quand il avait pointé ces dirigeants «qui s'accrochent au pouvoir au détriment de leurs peuples» (sic) ? On pourrait en dire autant de la France qui garde la main sur toute l'Afrique francophone en s'appuyant sur des Présidents mal élus, «recrutés» et installés par ses soins. Le doute reste donc de mise quand on entend ces belles professions de foi républicaines, fussent-elles prononcées par un haut responsable américain. Parce que, jusqu'à preuve du contraire, les coups d'Etat constitutionnels et les coups d'Etat tout court sont des éléments constitutifs de la «démocratie» à l'africaine.