Le 8 mai 1945, une date, deux grands événements : la victoire des Alliés sur le IIIe Reich et le nazisme et la répression féroce contre les Algériens à Sétif, Guelma, Kherrata et bien d'autres villes par la France colonialiste. Aussi, depuis si longtemps en pareille période de par le monde, on s'adonne aux festivités. L'Algérie, elle, pleure ses morts. Cette date constitue, de l'avis des historiens et autres observateurs avertis, une page sanglante et non moins glorieuse de l'histoire du peuple algérien, une étape charnière de sa lutte pour l'indépendance, qu'on avance d'ailleurs comme le prélude à Novembre. Cependant, depuis l'indépendance, les morts pour cette cause sont toujours relégués au fin fond de l'oubli, mais qu'on exhume en les désignant martyrs uniquement lors de velléités démagogiques. Plus encore, les massacres du 8 Mai 1945 sont aussi un crime contre l'humanité. La fondation nationale du 8 Mai 1945 et d'autres associations éponymes de wilaya ont beau batailler pour mettre en relief un certain nombre de valeurs de cette période de l'histoire et pour combler bien des «trous de mémoire», en vain. Ces martyrs, qu'on se plaît à appeler ainsi, n'en ont malheureusement pas le statut. Pis encore, ils sont toujours, du moins à Guelma, portés vivants sur les registres d'état civil. Où sont passés les milliers de martyrs de Sétif, Guelma, Kherrata et bien d'autres localités ? Ces morts nous interpellent. «Qui sommes-nous ? Pourquoi la loi sur le chahid et le moudjahid ne nous reconnaît pas comme tels ?» s'interrogeait le défunt Saci Benhamla, lequel, moudjahid et témoin de ces massacres, était président de l'association de Guelma et en avait fait son cheval de bataille jusqu'à son dernier souffle. Il ne cessait de transmettre aux hauts responsables du pays dossiers et correspondances dans lesquels étaient suggérées, entre autres, l'insertion, en marge des registres d'état civil, de la formule «mort pour la patrie» et la reconnaissance officielle de ces martyrs par la loi, en les désignant, à tout le moins, «martyrs de l'histoire». Le silence des cimetières Bouteflika – ainsi que les précédents présidents – a été destinataire de ces correspondances, mais il n'y sera donné aucune suite, ou plutôt des péroraisons intempestives, creuses et farfelues prononcées dans le vide, ou pour être précis à des fins populistes et démagogiques, réclamant la repentance à la France. Preuve en est que depuis, c'est le silence de cimetière, un silence coupable. Comment peut-on s'adresser à la France à ce propos alors que l'Etat algérien lui-même ne reconnaît pas le sacrifice de ses propres fils auxquels il doit incontestablement beaucoup car bon nombre d'entre eux étaient des indépendantistes de la première heure ? La raison en est que les massacres du 8 Mai 1945 sont un crime contre l'humanité et, en tant que tel, on a toujours proposé la création d'une commission composée de spécialistes pouvant porter l'affaire devant les tribunaux algériens et internationaux par le biais de commissions rogatoires devant désigner les criminels. Encore que ces derniers soient notoirement connus : le général Duval, commandant de la division (militaire) de Constantine, Charles Tillon, ministre de l'Aviation dans le gouvernement De Gaulle, Lestrade Carbonnel, préfet de Constantine, André Achiary, sous-préfet de l'arrondissement de Guelma, Jean-Pierre Peyroulou, historien, qui écrivit dans son livre Guelma, 1945 : «Il n'y eut pas de véritables adversaires mais une répression sans proportion avec le danger encouru : milice, police, gendarmerie, infanterie, automitrailleuses, bombardiers, chasseurs contre des populations nombreuses mais sans armes.» A propos de ce crime contre l'humanité, Me Vergès avait dit, lors d'un colloque organisé en 2006 à Guelma : «Le crime du 8 Mai 1945 est imprescriptible. Il n'a pas été amnistié puisqu'il n'a pas été reconnu. Seules les victimes ont été poursuivies. Un procès est toujours possible.» Concernant l'attitude de la France face à ces crimes, il avait été on ne peut plus clair : «La France, non pas celle qui ordonne de glorifier la colonisation dans les livres scolaires, mais celle du discours de Pnom Penh, celle qui a reconnu sa responsabilité envers les juifs livrés aux nazis, fut-ce par un gouvernement illégitime, celle qui s'est opposée à la guerre contre l'Irak, cette France-là s'honorerait en reconnaissant sa responsabilité dans les massacres du 8 Mai 1945 et sa dette envers le peuple algérien.» Sans nul doute, par manque de sérieux et d'effort, au train où va la chose politique, ce dossier ne sera jamais rouvert et traité de manière claire et officielle ; il restera longtemps un abominable fonds de commerce pour des politicards en mal de popularité et de pouvoir, sinon pour toujours !