Le 8 Mai 1945. Le jour même où l'Europe toute entière fêtait sa victoire sur l'Allemagne nazie. Le jour même où la France était libérée, elle réaffirmait dans le sang sa domination coloniale en Algérie. 45 000 morts à Sétif, Guelma, Kherrata et dans le Constantinois. Un chiffre que certaines sources affichent à la hausse. Jour de liesse, fête de la libération, mais pas pour tout le monde. Un massacre de grande envergure et une date inoubliable dans l'histoire de la résistance algérienne face à la France coloniale sur lesquels sont revenus un historien, Amar Rekhila et un chercheur universitaire, Boudjemâa Souilah, invités hier du Forum de la mémoire du quotidien El Moudjahid en collaboration avec l'association Machâal Echahid. Le premier qui a traité du rôle de la presse, notamment française, de l'époque à l'égard de ce qu'il a nommé le génocide, a souligné la prise de position de cette dernière tantôt en minimisant les faits et, d'autres fois, en accusant les militants d'être manipulés par l'Allemagne et qualifiant le soulèvement d'"émeutes de la faim et du pain". L'image propagandiste de l'administration coloniale en a voulu ainsi. Même la presse américaine, de manière générale, n'a attiré l'attention sur ces massacres que bien plus tard. Elle louait plutôt l'efficacité des avions, chars et armes de production américaine occultant les milliers de morts. Pour le Dr Boudjemâa Souilah, la répression colonialiste du 8 Mai 1945 est un véritable génocide et un crime contre l'humanité que la France continue d'occulter prétendant qu'il s'agit d'une manifestation d'ordre social. "Même si la France, dira-t-il, a reconnu quelque peu à travers une visite effectuée à Sétif par son ambassadeur, qu'il y a eu des morts mais on refuse toujours de parler de génocide. Le peuple algérien n'a pas besoin d'une reconnaissance de ce genre. On ne peut, en effet, parler de perspectives et de relations bilatérales si on rejette cette réalité." Parallèlement, le conférencier a appelé à une main levée sur les archives car, explique-t-il, "c'est une honte pour la France, pays des droits de l'Homme de laisser ce volet dans l'obscurité". Mohamed Tahar Chafaï est un témoin qui a vécu la journée du mardi 8 Mai 1945 à Guelma. Il a raconté, hier, cet épisode dramatique quand des représailles sont tombées sur des militants des Amis du manifeste et de la liberté. Le premier coup de feu tiré par le sous-préfet Achiary (futur chef OAS créé à Madrid en 1961) suivi par son escorte qui ouvre le feu sur le cortège. "De Gaulle a menti, fera-t-il observer, à l'opinion mondiale. C'est lui qui a donné le feu vert au général Henri Martin de réprimer la moindre agitation. On a tué les meilleurs fils de Guelma et brûlé leur corps". Cet homme est un rescapé puisque, arrêté pour être exécuté avec ses compagnons, la sentence a été annulée grâce à l'intervention du consul américain en visite dans la région qui avait dénoncé le génocide. Tout a commencé à Sétif dans la matinée du 8 mai, quand une immense foule s'est rassemblée devant la mosquée de la gare. Pacifiques, dépités, désarmés, les paisibles manifestants scandent "Indépendance", "Libérez Messali Hadj". Ils s'étaient donné comme consigne de faire sortir pour la première fois le drapeau algérien. La riposte est cinglante. À la vue du drapeau vert et blanc, les policiers jaillissent et attaquent la foule. Un inspecteur tire et tue celui qui porte le drapeau. Des coups de feu partent des fenêtres des Européens. On tire sur la foule. Saâl Bouzid, jeune scout est mortellement touché. Il est le premier martyr de ces incidents. Une milice européenne armée s'en mêle. À Kherrata, la population ayant appris ce qui venait de se passer à Sétif a décidé de sortir dans la rue. Les automitrailleuses de l'armée française se mettent à tirer sur les manifestants, suivies de près par les tirs du croiseur Duguay-Trouin à partir de Bougie sur les monts de Babor. L'après-midi, c'est l'aviation qui bombarde les environs. Plusieurs milliers d'Algériens sont massacrés. Suite à ces assassinats, des groupes d'indigènes ripostent en tuant des Européens. S'ensuit alors une répression extrêmement violente dans les rues et les quartiers de plusieurs villes. Pendant plus d'une semaine, l'armée française, renforcée par l'aviation et les chars, se déchaîne sur les populations de la région et tue sans distinction. Une répression colonialiste venait de faire ses premiers accrocs face à une population farouchement déterminée à se promouvoir aux nobles idéaux de paix et d'indépendance. A. F Nom Adresse email