Azzedine Mabrouki a particulièrement aimé le film et le clame bien haut... En entrant samedi au Mouggar pour voir L'Andalou de Mohamed Chouikh, un beau vers de Louis Aragon dans Le Fou d'Elsa, nous est revenu : «La veille où Grenade fut prise, à sa belle un guerrier disait...». Il convient dès maintenant de dire que c'est un film étincelant et qu'on peut de nouveau parler de Mohammed Chouikh comme d'un grand cinéaste. Par son sujet sur l'errance des Andalous en terre maghrébine, jamais encore abordé au cinéma, par son élégance, sa dignité, L'Andalou est certainement le plus beau film algérien produit ces dernières années. Et ça remonte à loin. C'est une œuvre qui honore le cinéma national. On accroche à la mise en scène très fouillée, une succession d'épisodes au rythme parfois vertigineux, avec des reines déchues, des princesses amoureuses, des émirs dignes, tout sauf sortis d'une kermesse, des cavaliers de légende. Avec aussi la musique (Chouikh pourrait faire tout un film sur la musique andalouse), les fêtes de mariage et l'immense poésie qui accompagne tout ce brillant travail qui pousse la direction des acteurs à une hauteur jusque-là rarement atteinte dans le cinéma algérien. Il s'agit aussi d'une brillante démonstration du talent de Bahia Rachedi, Malika Belbey, Mohammed Benbakerti, Hassen Kechach et bien d'autres qui soutiennent cette belle entreprise, ainsi que les acteurs espagnols. Suite de la chute de Grenade, on suit les tourments et l'errance au Maghreb des êtres arrachés à leur terre, leur patrie, leur vie. Tous demeurent pleins d'orgueil et de dignité dans leur malheur. Ils font face avec noblesse à l'arbitraire. Ils ont une immense tristesse de laisser l'Alhambra à la reine de Castille. Dans une mise en scène d'une habileté incomparable, le film retrace cette longue errance de royaume en royaume jusqu'à la mainmise totale et brutale du pouvoir ottoman. Les événements, les péripéties de l'histoire, l'instabilité des pouvoirs des émirs, tout cela se bouscule sur l'écran à un rythme très rapide, sans atténuer la noblesse des comportements des Andalous, leur éducation, leur culture et leurs principes très forts qui les sauvent d'un monde chaotique. La musique, les fêtes, les danses, les festins, les costumes splendides donnent à cette œuvre une dimension extrêmement envoûtante. On retrouve dans L'Andalou les parfums, les délices, les jouissances et les mystères de ce que fut cette époque. Beaucoup de plans sont si magnifiquement composés (décors, lumière, costumes, harmonie des couleurs, forte présence des acteurs) qu'on a l'impression d'être devant un tableau de grand peintre : la visite à la reine déchue Aïcha recluse à Fès, les délicieuses séquences des noces de la princesse et du savant, ou encore l'extraordinaire prestance de l'émir de Ténès (Hassen Kachach) lisant seul un extrait du Coran. Il faut ajouter aussi la manière dont la caméra capte la cavalcade des chevaux : un tableau digne de Delacroix ou des belles miniatures persanes. En sortant de la projection, on peut prolonger le plaisir en revenant aux vers d'Aragon : «Que deviens-tu sans moi, que deviens-tu Grenade…».