Président du centre des études africaines de l'université de Porto au Portugal, Ivo Sobral s'est aventuré dans les zones grises et les eaux troubles des activités des organisations secrètes. Intervenant au Crasc à Oran à l'occasion de la tenue de la journée d'études intitulée «Maghreb-Europe : perspectives historiques et stratégiques», il s'est intéressé plus particulièrement à la connexion portugaise des réseaux Gladio (glaive en italien) appelés également Stay Behind avec l'OAS. La première structure a été créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sous l'égide, notamment, de la CIA et de l'Otan afin de «rester derrière» les lignes et de préparer, le cas échéant, des actions contre la menace d'invasion soviétique. Activant en général sans que les gouvernements de l'Europe occidentale relevant de l'OTAN aient conscience de leur existence, ces armées secrètes, qui avaient des noms spécifiques pour chaque pays, avaient également pour rôle de «mener des campagnes de propagande anticommunistes ou même d'assassinat des groupes d'opposants de gauche». L'existence de Gladio n'a été révélée publiquement qu'en 1990 (la fin de la guerre froide) par le 1er ministre italien de l'époque, Giulio Andreotti dont le pays a été, auparavant, le théâtre de plusieurs actions violentes dont les responsabilités font encore aujourd'hui débat. Ivo Sobral prend le soin de rappeler les accointances idéologiques historiques (à partir des années 30) entre l'aile droite française et le Nouvel Etat portugais qui a servi de refuge pour les exilés du gouvernement collaborationniste de Vichy (France) et plus tard de base arrière pour les commandos de l'OAS (avant la révolution des œillets qui s'est débarrassée de la dictature de Salazar). L'universitaire dresse le portrait d'Yves Guerrin Serac (Yves Guillou), cofondateur de l'OAS en Espagne en 1961 avant de rallier le Portugal une année plus tard et où il a fondé, en 1966, AGINTER Presse, officine de renseignements sous des couvertures de journalistes activant notamment en Afrique et en Amérique Latine pour le compte des gouvernements de droite ou d'organisations néofascistes comme «Ordre et tradition» et son aile clandestine paramilitaire OACI, l'organisation armée contre le communisme international. Officier formateur, il est connu pour avoir participé à la conspiration au sein de l'armée française en Algérie entre 1961 et 1962 et, selon Yvo Sobral, même l'opération visant l'assassinat du général de Gaulle a été préparée au Portugal. Le cofondateur de l'OAS est aussi comme vétéran de la guerre de Corée (1950 et 1953) et de la guerre d'Indochine entre 1945 et 1954 où il a été notamment l'officier français de liaison avec la CIA fraîchement créée. Ce détail se révèlera important puisque, analyse l'universitaire portugais, les accointances avec la CIA sont avérées et l'activité de L'AGINTER Presse a été apparentée à celle du réseau «Stay Behind» avec la possibilité de faire de l'OAS une organisation internationale allant dans le même sens, c'est-à-dire combattre le communisme international et les mouvements insurrectionnels, infiltrer et manipuler les mouvements africains, etc. Parmi les activités de cette agence, le chercheur évoque son implication dans le recrutement et l'entraînement de mercenaires et de terroristes pour mener des actions de sabotage ou d'assassinat ainsi que dans l'espionnage grâce à ses accointances avec la police secrète portugaise (PIDE), la CIA mais aussi la Gehlen organisation ouest-allemande, la DGS espagnole, la Boss sud-africaine (sous le régime de l'apartheid) et la KYP grecque. Un chapitre spécial est réservé à l'Afrique australe avec l'infiltration des mouvements de libération dans plusieurs pays dont le MPLA pour l'Angola, colonie portugaise mais aussi l'Organisation de l'Union Africaine elle-même. Pour ce genre de recherches se pose le problème d'accès aux archives, et Ivo Sobral n'a eu accès qu'à des documents secondaires. Selon lui, beaucoup ont été transférés à Moscou, d'autres ont été détruits définitivement. «L'AGINTER Presse a eu accès à des technologies les plus avancées de l'époque en terme de cryptage ou même d'autodestruction après usage», explique-t-il en ironisant : «C'est vraiment l'univers de James Bond et de Mission Impossible.»