Ils sont environ 2000 migrants en situation irrégulière, de différentes communautés subsahariennes, à avoir élu domicile sur les berges de l'oued Jorji, à Maghnia. Abandonnant leurs lointaines contrées, les premiers aventuriers ont fait leur apparition en 1999 à Maghnia. Une escale privilégiée car n'étant distante d'Oujda, la capitale de l'Oriental, que de 14 km. Et l'air ibérique – l'enclave de Melilla – n'est qu'à 150 km. Après un itinéraire hostile (Mali, lieu de regroupement de tous les migrants, Tamanrasset, Ghardaïa, Oran), ils ont atterri dans la dernière ville d'Algérie avec pour seul bagage quelques francs français de l'époque… et des rêves vite «convertis» en illusions amères. Enthousiastes au début pour s'être éloignés de la famine et des guerres ethniques, les Subsahariens se sont vite rendu compte que pour atteindre «la terre promise», comme ils disent, il fallait livrer un duel inexorable avec le destin. Pour ceux bien encadrés dans un réseau de passeurs, il faut d'abord séjourner des semaines, parfois des mois, sur les rives de l'oued Jorgi avant d'«embarquer», de nuit, à destination d'Oujda. Environ 45 minutes de marche. Cependant, l'arrivée sur le territoire de sa majesté est plus que désespérante. «On était attendus par les soldats. Et sans aucune formalité, on a été détroussés de notre argent et de nos documents d'identité, avant d'être refoulés brutalement, avec en prime ces mots narquois : ‘‘Retournez chez nos frères algériens et passez leur le bonjour''», témoigne Camara, originaire de Guinée. Camara a tenté plusieurs fois l'expérience, retournant par des chemins détournés chez nos voisins mais à chaque fois, il se faisait prendre par les soldats : «Ça devenait drôle, j'étais un habitué et les soldats ne me brutalisaient plus. En me voyant, ils me disaient : ‘‘Camara, tu connais le chemin, repose-toi un peu, puis retourne fissa à Maghnia''.» Ayant perdu tout espoir d'émigrer, vivant davantage dans la misère, la majorité des Subsahariens s'est résolue à travailler pour survivre. «Nous travaillons dans le bâtiment comme ouvriers ou dans les champs. Nous sommes payés comme les Algériens. Notre seule demande aux autorités algériennes, c'est de nous délivrer des permis de séjour pour pouvoir vivre dans la dignité.» Georges ne croit pas si bien dire. Peintre en bâtiment, il ne chôme pas.Mais des centaines de ses compatriotes n'ont d'autre moyen, pour ne pas périr, que de faire la manche. Certains, à force de broyer du noir, ont perdu la raison. D'autres ont laissé leur peau dans des échauffourées interethniques dans le camp informel de Maghnia. Leurs corps ont été enterrés dans le cimetière chrétien de la ville. Ils sont 2000, aujourd'hui. Demain, moins, ou plus. Leur nombre fluctue. Normal, ils sont devenus un jeu cynique des autorités des deux pays : les responsables marocains les renvoient de nuit vers le territoire algérien. Nos responsables «font dans la réciprocité» en les refoulant avec la même méthode illégale sur le territoire voisin. Lors d'une journée d'étude sur l'émigration et l'immigration en Algérie, Farida Merabet, présidente du laboratoire «sociologie économique et mouvements sociaux» de l'université Constantine 2 et également présidente du comité d'organisation de cette rencontre, a estimé que «le nombre de migrants irréguliers en Algérie varierait entre 250 000 et 400 000 individus». Mme Merabet a indiqué que «ce flux migratoire, qui représente 1% du total de la population, était insignifiant au lendemain de l'indépendance avant de devenir, en ce milieu de la deuxième décennie du XXIe siècle, relativement substantiel». Et de déplorer «l'absence de données officielles» et «la difficulté d'obtenir des statistiques (…) fiables sur le phénomène de la mobilité sociale».