Sur les berges de la rivière Jorgi, à Maghnia, une agglomération située sur la frontière avec le Maroc, près de 500 Subsahariens de différentes nationalités et confessions religieuses sont dans l'expectative. En fait, les chiffres fluctuent selon les expulsions de nuit du Maroc et les arrivées sporadiques du sud algérien. Les cahutes bâties à l'aide de branchages, de tôles et de plastique sont quasiment inoccupées. Des chaussures usées, des bidons éventrés et des ustensiles jonchent les allées poussiéreuses et défoncées du no man's land. C'est comme si une calamité destructrice était passée par là. Pourtant, en réalité, rien de dramatique ne s'est passé. «Il n'y a pas plus dramatique que nos conditions de vie. Ceux parmi nous, qui n'ont pas réussi à poser le pied en Espagne, à Melilla ou Ceuta, nos destinations de rêve, n'abdiquent pas. Ils restent à Maghnia avec l'éternel espoir de tenter et retenter le coup : traverser la frontière algéro-marocaine et continuer jusqu'au pays de Don Quichotte…» Les habitations nous paraissaient curieusement vides. «Ils travaillent, font la manche, trafiquent ; ils rentrent le soir», explique notre interlocuteur. Les communautés, naguère bien organisées comme de véritables Etats sans emblème ni hymne, ne sont plus que des groupuscules désorientés, amers. «Depuis 2005, triste année où plusieurs de nos compatriotes ont été tués aux portes de Melilla par les soldats marocains, des milliers d'autres ont été jetés en plein désert ou rapatriés clandestinement par le gouvernement chérifien, de nuit, sur le territoire algérien. Le seul refuge que nous avons est notre territoire, l'oued Jorgi», affirme Abdoullah, en vérité Max de son vrai prénom. Il a choisi ce surnom pour apitoyer les habitants de la ville de Maghnia. Pourtant, dans cette ville frontalière, tous ces migrants ont droit au même «mérite» qu'ils soient musulmans, chrétiens ou athées. Plus aucun chairman digne de ce nom n'est là pour encadrer ses concitoyens, comme cela se faisait auparavant «Vous savez, ceux qui se sont promus chef sans conseil ni conciliabule sont en réalité des maffieux. Sinon pourquoi eux ne partent jamais ?» s'interroge Camara, un Malien, qui a perdu beaucoup de ses compatriotes. «Moi, je travaille dans les champs et comme manœuvre dans le bâtiment. Je suis payé comme les Algériens, je dois le reconnaître. Mais ce qu'on n'arrive pas à comprendre ici, c'est que nous sommes dans un pays africain et les autorités algériennes nous pourchassent tout le temps. Pourtant, nous ne sommes que de passage. Bien sûr, il ne faut pas se voiler la face, les frontières de l'Europe se ferment de plus en plus et personne ne veut de nous. Alors, pourquoi l'Algérie ne nous régularise-t-elle pas ?» Depuis 1999 où, trompés par leur teint, ils ont largué les amarres à Maghnia, beaucoup de ces Africains ont perdu tout espoir de gagner l'autre rive ; ils se sont résignés à rester sur place. «Quand on n'a ni papiers ni argent, il faut se débrouiller pour survivre et, dans ce cas, tous les moyens sont bons», reconnaît Daniel, un Béninois. Les «durs à cuire», comme on dit ici, sont les Nigérians, spécialisés dans la contrefaçon, la fausse monnaie et la prostitution. Les maffieux ont même eu la «présence d'esprit» d'ériger un lupanar (maison de tolérance), une cabane où des Subsahariennes vendent leur chair, parfois à crédit. Derrière, des maquereaux s'enrichissent et payent «leurs» filles avec des promesses de les emmener en Espagne. «Nous ne sommes en sécurité nulle part. En ville, nous sommes des apatrides» dit, éploré, Daniel. Il y a ceux qui, comme Myriam, une Congolaise, ont carrément perdu la raison. Ceux-là longent les boulevards de la ville tranquillement. Des bébés y sont nés, ils portent les prénoms de la sainte Lalla Maghnia pour les filles et de Ouassini, en référence au saint marabout de la ville pour les garçons.