Il est peut-être trop tard pour envisager la sauvegarde. Mais, sans doute, est-il temps d'arrêter la perte irréversible d'un fonds cartographique ancien dont la valeur scientifique est indiscutable. Une carte du Sahara aux qualités rigoureusement justes, lisibles et détaillées sur les gisements pétroliers au prix d'une carte postale ! C'est la triste réalité qui témoigne d'un programme de dilapidation des archives nationales. Un fonds cartographique exceptionnel réduit à sa valeur en poids. Le constat est dur à comprendre. Le phénomène a commencé dans le centre d'Alger. Nos tentatives pour remonter aux sources d'approvisionnement de ces archives sont restées vaines. Le secret est bien gardé. Pour un prix honteux, des marchands à la sauvette proposaient, du côté la Fac centrale, un fonds cartographique d'une mystérieuse origine. Les dates d'impression varient entre 1847 et 1962. Depuis, ce commerce s'organise autour des bouquinistes. Les collectionneurs nationaux montrent peu d'intérêt pour ce lourd butin qui aurait dû, normalement, attirer la curiosité de nombreux services publics, ministères, APC, wilayas ou bibliothèques. Les étrangers de passage sont les premiers à se servir. Ils s'en donnent à cœur joie. «Nos clients sont surtout des touristes heureux d'emporter des souvenirs d'Algérie», nous confie un marchand. Heureux, en effet, et il y a de quoi ! Toute l'Algérie en quadrichromie sur une surface cartonnée de 1,5 m sur 1 m avec des précisions à couper le souffle... pour 200 DA ! Tous les gisements pétroliers établis par les sociétés étrangères des années cinquante et soixante pour 100 DA ! Les premiers documents élaborés par les services du génie de l'armée coloniale recensaient minutieusement les habitants et l'occupation des sols. La valeur historique de ces cartes ne fait aucun doute pour les chercheurs, qu'ils soient historiens, géographes ou économistes ou simplement amateurs de beaux documents. Dans ce trésor qui se perd inexorablement tout y est : sol, sous-sol, climat et le tapis végétal, la pluviométrie ou les cultures vivrières par région. La description du bassin pétrolier est précise : les pistes, les gisements, les oléoducs et gazoducs, les zones de production. Ainsi, on y trouve Hassi Messaoud, Edjelé, Tiguentourine, Hassi Rmel, Adrar…avec des précisions qui intéressent tout particulièrement les professionnels des mines. On y trouve des indications de pistes sahariennes sur des zones stratégiques à haut risque. La carte du séisme d'El Asnam de 1954 donne des détails sur la mécanique des sols et les dégâts enregistrés. On trouve des cartes de la côte algérienne avec la localisation de tous les phares. La plus surprenante, c'est une reconstitution du réseau routier romain établie avec l'aide d'archéologues de grande renommée. «Allez, prenez-la pour 100 DA », lance le vendeur sans se douter de l'écart entre la valeur réelle et le prix. Parmi les cartes qui retiennent l'attention, il y a celle qui recense la population par parcelle géographique datant de 1847. Elle est la première du genre réalisée sous le régime colonial et localise toutes les tribus avec la propriété du sol et les zones de parcours pour l'élevage. La carte, découpée en trois parties, est détaillée avec une précision obsessionnelle. Les indications donnent une idée des lieux et des populations à l'an zéro de l'ère coloniale et préfigure les bouleversements qui s'ensuivirent. Tout ce trésor se disperse aux quatre vents. Les services habilités qui commettent cette forfaiture ont-ils pris soin de sauvegarder les matrices ? Allez savoir !