�Le FMI �tablit un diagnostic et ordonne le traitement qu�il juge appropri�. Si on consid�re que les prescriptions du m�decin sont une atteinte � notre libert�, il ne faut pas abuser de notre sant� au point d�en �tre amen� � solliciter le recours au m�decin !� Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Mohamed Chafik Mesbah : En 1991, lorsque vous avez acc�d� aux responsabilit�s de chef du gouvernement, vous aviez amend� la loi fondamentale sur les hydrocarbures. Quel �tait votre objectif ? Sid Ahmed Ghozali : Ce fut la suite d�une histoire que j�avais v�cue � la t�te du minist�re des Finances o� j�avais trouv� une situation de surendettement sans pr�c�dent ailleurs, en ce sens que le service de la dette d�passait 70% de nos recettes ext�rieures alors que le niveau des r�serves �tait � z�ro. Selon les normes g�n�ralement admises, lorsqu�un pays consacre le quart de ses recettes ext�rieures au seul remboursement de la dette, alors il y a probl�me. Si on n�a pas les moyens de rester en de�� de cette limite ou d�y revenir quand on l�a d�pass�e, il est de r�gle de recourir � un �talement des �ch�ances de remboursements, au r��chelonnement de la dette. Le feu vert du FMI pour la n�gociation avec les deux clubs de cr�anciers, celui de Londres pour les cr�dits commerciaux et celui de Paris pour les cr�anciers publics, est alors requis. Le FMI exige l�acceptation pr�alable de mesures d�ajustement structurel cens�es produire un redressement financier qui soit � m�me de permettre l��talement de la dette et conditionne en m�me temps le retour n�cessaire de l�emprunteur sur les march�s financiers pour les besoins de la relance de son �conomie. Chez nous, on a pr�f�r� continuer � rembourser vaille que vaille, moyennant quoi, on a commis ce qui est consid�r� par les experts internationaux comme une aberration �conomique, un non-sens politique et m�me un crime social. On a maintenu par ailleurs la population, voire la quasi-totalit� des institutions, dans l�ignorance des faits. Lors de mon court passage aux Finances, j�avais commenc� par faire conna�tre notre situation financi�re non seulement aux institutions, ministres et d�put�s, mais aussi � l�opinion publique. Contrairement � la d�marche pr�dominante, qui consistait � r�futer le r��chelonnement sans proposer une solution alternative, j�ai pr�n� la th�se que le r��chelonnement �tait �vitable � condition que nous mobilisions nos propres potentialit�s qui �taient au demeurant tr�s au-del� des 25 milliards de la dette ext�rieure, en comptant, au d�part, sur le seul d�veloppement de notre potentiel de production d�hydrocarbures. Huit mois et demi aux Finances, il en fallait plus pour mettre en �uvre la solution que je d�fendais, et le gouvernement qui a succ�d� au gouvernement Kasdi Merbah voyait les choses autrement. La situation financi�re a continu� � se d�t�riorer jusqu�� menacer de conduire � une faillite annonc�e pour l��t� 1990, n�e�t �t� la manne que nous a valu la hausse des prix du p�trole cons�cutive � l�invasion du Kowe�t, soit trois milliards de dollars am�ricains de rentr�es suppl�mentaires en quelque trois ou quatre mois. Une manne qui ne fit que repousser quelque peu l��ch�ance funeste puisqu�elle n�a pas emp�ch� l��volution n�gative de notre situation financi�re et ses effets collat�raux sur la politique int�rieure� Il n�y aurait pas le temps de s��tendre sur cet aspect des choses qui avait conduit � ce que, moi-m�me ministre des Affaires �trang�res en d�saccord profond avec le gouvernement, je soumette ma d�mission. Vouliez vous vraiment quitter le gouvernement ? Oui, pour des motifs pr�cis dont l�expos� ici d�borderait excessivement le pr�sent entretien mais que j�ai d�ailleurs �voqu�s dans mon discours d�investiture de juillet 1991 � l�adresse de l�APN. En fin de compte c�est la crise du Golfe qui a masqu� et contrari� ma volont� de quitter le minist�re des Affaires �trang�res. L�ironie du sort a voulu qu�une ann�e plus tard, j�ai eu � former le gouvernement, alors que le pays �tait dans une situation tr�s d�licate, l��tat de si�ge issu de la p�riode insurrectionnelle d�avril-mai 1991 et une profonde d�t�rioration financi�re, cons�quence de la politique de fuite en avant pratiqu�e depuis 1986 : emprunter pour rembourser ce qu�on a emprunt� hier, etc. Revenons aux motivations de votre loi sur le p�trole de 1991� Nous y sommes en plein quand nous en rappelons le contexte. A cette �poque, nous �tions, disais-je, en train de consacrer plus de 70% de nos recettes d�exportations au remboursement de la dette ext�rieure. Un seul pr�c�dent � cela peut �tre �voqu�, celui de la Roumanie de Ceausescu commun�ment retenu comme l�exemple du crime social. Je n�oublie pas l��tat de nos r�serves de changes qui �taient � z�ro. Lors des d�bats d�investiture sur le programme pr�sent� � l�APN, j�ai r�pondu aux questions des d�put�s sur la situation financi�re, en g�n�ral, et sur la probl�matique des relations avec le FMI. J�ai d�nonc� la vanit� d�une d�marche qui, tout en maintenant la nation dans l�ignorance des faits, consistait � se borner � exclure l�id�e du r��chelonnement et � ergoter sur le th�me st�rile des atteintes par le FMI � la souverainet� nationale. J�ai d� rappeler que le FMI �tait une sorte de coop�rative entre Etats charg�e d�aider � la r�solution des probl�mes de balance de paiements de ses membres. C�est comme le m�decin que l�on consulte lorsque l�on est malade : il �tablit un diagnostic et ordonne le traitement qu�il juge appropri�, un traitement fait de prescriptions et de restrictions. On peut avoir d�excellentes raisons de penser tout le mal des rem�des pr�conis�s par le m�decin mais il n�est pas possible de s�adresser � lui pour vous appliquer une th�rapeutique et de le r�cuser, parall�lement, au motif que ce qu�il prescrit porte atteinte � la libert� individuelle. Si on consid�re que les prescriptions du m�decin sont une atteinte � notre libert�, il ne faut pas abuser de notre sant� au point d�en �tre amen� � solliciter le recours au m�decin. En l�occurrence, le vrai mal r�side dans le fait d�avoir suffisamment mal gouvern� pour tomber dans une situation de surendettement, alors que l�on a clam� �avoir d�sendett� l�Alg�rie� deux ann�es auparavant. Partons quand m�me du postulat que le FMI ce n�est pas bon : si on est vraiment anim� par une telle conviction il est alors tout � fait incoh�rent d�aller rechercher un pr�t de 500 millions ou m�me 5 milliards de dollars aupr�s du FMI � des conditions qui nous seraient inacceptables, au m�me moment o� nous sommes passivement assis sur un tr�sor de centaines de milliards de dollars am�ricains qui est le n�tre et qui ne demande qu�� �tre fructifi�. Je visais les r�serves consid�rables d�hydrocarbures qui gisaient dans le sous-sol, non seulement celles qu�il restait � d�couvrir, mais aussi celles qui �taient d�couvertes et en �tat de sous-exploitation dans le sous-sol national. C�est l� que j�ai recouru � cette fameuse formule qui allait susciter beaucoup de bruit pour rien. �Si Hassi Messaoud n�est pas capable de sortir notre pays de la situation d�abaissement o� il se d�bat, alors maudit soit Hassi Messaoud !� Voil� comment j�en �tais venu � pr�senter le projet de loi de 1991 que vous �voquez, une loi qui fut trois mois plus t�t, lors des d�bats d�investiture, clairement annonc�e dans le discours programme et explicit�e lors des r�ponses aux questions des d�put�s. J�avais choisi � dessein une formulation imag�e, peut-�tre provocatrice. �Si pour sortir notre pays des fourches caudines du FMI, il faut vendre le quart de Hassi-Messaoud, je suis pr�t � cela.� �Sonatrach, avais-je ajout�, d�tient bien du savoir-faire dans l�exploration et la r�habilitation des gisements. Mais pas tout le savoir-faire et il lui faudrait des d�cennies pour parvenir � elle seule � des r�sultats tangibles. C�est une question d�ampleur des moyens mat�riels et humains n�cessaires � une relance massive de l�activit� p�troli�re. Il n�est pas pensable de dire aux Alg�riens qui souffrent de patienter quelques d�cennies. D�o� la n�cessit� de s�assurer un apport massif de technologies et de finances � travers une extension du partenariat de Sonatrach, dans les domaines de l�exploration et aussi dans l�exploitation. Quelles sont, � cet �gard, les dispositions de la loi 1991 ? La loi fondamentale d�avril 1971 autorisait ce partenariat mais seulement sur les zones vierges et/ou sur les seuls gisements de p�trole, et non de gaz, nouvellement d�couverts. Il fallait donc �largir le champ du partenariat de Sonatrach aux gisements de p�trole d�j� mis au jour ainsi qu�aux gisements de gaz. Pour ce faire, assouplir la loi fondamentale d�avril 1971. Mais, dans tous les cas de figure, le contr�le alg�rien � 51% demeurerait la r�gle fondamentale dans le futur projet du gouvernement. Pourtant, votre projet a �t�, plut�t, mal accueilli� Oui, l�annonce que je fis suscita de violentes r�actions, provenant principalement du FIS et au sein du FLN. Le fait d�avoir d�voil� aux d�put�s les indicateurs des finances ext�rieures m�a valu d��tre accus� injustement de noircir � dessein la situation financi�re du pays. Les archives sont l� pour prouver l�injustice des soup�ons. Une campagne a �t� orchestr�e contre mon gouvernement. Au sein du Comit� central a �t� improvis� un v�ritable proc�s d�intention hors ma pr�sence et en occultation des donn�es financi�res de base que j�avais rassembl�es pour le profit de la direction politique du FLN. La presse du parti, El Moudjahid et Ech Chaab notamment, ont consacr� force manchettes et colonnes aux accusations de bradage des richesses du sous-sol. L�APS n�avait pas h�sit� jusqu�� lancer un bobard annon�ant une imminente d�cision de d�valuation du dinar. Je passe sur les attaques personnelles. Des d�put�s, faisant chorus avec les protestations du FIS, ont contest� la l�gitimit� d�un gouvernement tenu pour ��tre l� pour six mois, le temps de pr�parer les �lections�, pas pour engager le pays �comme s�il �tait l� pour l��ternit�. Je cite l� les minutes des d�bats autant que la protestation communiqu�e � la presse par Abassi Madani de son lieu de r�sidence surveill�e. En d�pit de ce climat d�hostilit� organis� � l�encontre du gouvernement, les d�put�s de l�APN ont vot� la loi quasi-unanimement, � cinq voix pr�s, en novembre 1991. Imm�diatement � l�issue du vote, une voix tr�s haut plac�e au sein du FLN, en concomitance avec celles du FIS et dans des termes identiques, a clam� sa r�solution � �remettre en cause cette loi, d�s la mise en place de la future Assembl�e�. Voil�, tr�s r�sum� mais en toute fid�lit�, le climat politique ambiant qui pr�valait alors. �tes vous bien s�r que la direction du FLN s�est oppos�e au projet de loi lui-m�me et non � la d�claration par laquelle vous �voquiez �la vente de Hassi- Messaoud� ? Comment expliquez-vous dans ce cas que cette loi de 1991 fut adopt�e par les d�put�s de l�APN, tous �lus du FLN ? S�r et certain, et ce n�est pas ma m�moire seulement qui me le fait dire mais surtout les �crits officiels qui sont l� pour en attester irr�futablement. Ni les d�put�s ni la direction du FLN qui connaissent ces �crits ne pouvaient comprendre un seul instant que l�intention du gouvernement �tait de �vendre Hassi-Messaoud�. Allez simplement aux faits tels qu�ils sont inscrits dans les minutes des d�bats et dans le programme, ils vous �teront l�ombre d�un doute � ce sujet. A commencer par la simple raison que ni mon programme ni la loi, tous les deux approuv�s par l�APN � trois mois de distance, n�ont jamais port� mention de l�id�e de vendre Hassi-Messaoud. Cette id�e est une farce invent�e � partir d�une citation d�lib�r�ment tronqu�e. Les d�put�s savent bien cela et pas seulement eux, puisque lors de mes rencontres de juillet et ao�t avec les partis et associations civiles, j�ai fait distribuer � tous les chefs de parti, y compris donc le FLN, et aux associations civiles, les minutes portant mes d�clarations et mes r�ponses � des questions des d�put�s, sur la situation financi�re du pays, sur le FMI et le r��chelonnement, sur le contexte de la r�elle citation de Hassi- Messaoud, sur mon projet de pr�sentation d�une loi sur les hydrocarbures. Ces d�clarations ainsi que les r�ponses faites devant tous les d�put�s r�unis � huis clos �taient donc connues de tous les chefs de parti et associations peu apr�s l�investiture du gouvernement. Elles se concluaient, notamment � propos du projet annonc� de la future loi, comme suit : �L�esprit et la lettre du 24 F�vrier 1971 sont et demeureront vivants et en vigueur.� Dites-moi, s�il vous pla�t, comment peut-on promettre � la fois la �vente de Hassi-Messaoud� et en m�me temps assurer la pr�servation de l�esprit et de la lettre du 24 F�vrier 1971 ? Non, ni les d�put�s FLN ni la direction du FLN ne pouvaient avoir compris � aucun moment, en juillet ou en ao�t, ou durant tout l�automne 1991, que le gouvernement voulait vendre Hassi- Messaoud ! Ceux qui ont combattu le gouvernement l�ont fait pour des motifs totalement �trangers � la loi Ghozali de 1991. La d�fense de l�id�e de possession souveraine des gisements par le peuple a �t� au c�ur de ma vie professionnelle, de mes combats, de mes engagements ; le combat pour que le produit des richesses que contiennent ces gisements aille � son propri�taire l�gitime, la nation alg�rienne. Pour ce faire, n�cessit� du contr�le par les instruments de l��tat sur les politiques d�exploitation des gisements, formation des hommes et des femmes ainsi que des instruments nationaux � ces fins. Fallait-il attendre que je devienne chef du gouvernement pour d�faire en un mot tout ce qui a fait les nuits blanches, les sacrifices, les joies et les frustrations, les peines et les douleurs de toute une vie au service public ? Tout homme peut changer, me direz-vous, et je l�admets, mais vous, Chafik Mesbah, croiriez-vous � cette farce de la vente de Hassi- Messaoud ? Un respectable cheikh �tait venu me voir un jour � mon bureau pour me dire la grande �motion et le m�contentement que suscitait en lui la �nouvelle de la vente de Hassi- Messaoud�. Je vous restitue le dialogue qui eut lieu entre nous. - Lui : �Alors, c�est vrai que vous voulez vendre Hassi-Messaoud ?� - Moi : �Vous connaissez mon itin�raire professionnel ? Mon r�le dans la r�cup�ration des richesses nationales ? Et vous y croyez � cette histoire de vente de Hassi- Messaoud ?� - Lui : �C�est pourtant ce qu�on m�a dit ! Il y a bien une raison l�-dessous.� - Moi : �On vous l�a dit, bien. Supposez maintenant que des gens me disent qu�ils ont vu dans la rue tel cheikh respectable sortant d�un bar titubant, saoul � mort. Est-ce que je dois les croire ?� - Lui, devenu tout p�le : �Bien s�r que non !� - Moi : �Et moi, je ne serais jamais venu vous voir pour v�rifier la v�racit� des propos que j�aurai entendus. Parce que j�aurai d�abord exerc� les facult�s mentales dont chacun de nous est dot�es.� Fin du dialogue. Oublions mes r�f�rences personnelles et allons tout simplement aux preuves irr�futables : les �crits. Allons aux archives de l�APN et revoyons les minutes des d�bats d�investiture, le discours programme, les questions pos�es par les d�put�s (une quarantaine d�interventions-questions), les r�ponses donn�es par le chef du gouvernement, les d�bats sur la loi 1991, en commission et en pl�ni�re. Et revoyez les articles des campagnes de presse avant, pendant et apr�s l�investiture ; avant pendant et apr�s les d�bats sur la loi de 1991. Ces �crits �tablissent d�eux-m�mes que l�hostilit� que vous �voquez �tait politicienne, seulement politicienne, en premier et dernier ressort. Trois mois plus tard, quand le projet de loi fut effectivement d�pos� � l�APN, cela n�a suscit� aucune r�ticence au moment m�me o� certains m�dias continuaient la campagne contre le gouvernement. Les d�put�s vot�rent la loi, sans probl�me aucun, deux membres �minents de la direction du FLN ont d�clar� � la presse internationale, concomitamment avec la direction du FIS (Abdelkader Hachani) qu�ils �remettront en cause cette loi � la future Assembl�e�. Conclusion, si l�APN a approuv� par deux fois, en juillet et en novembre, le programme p�trolier du gouvernement, c�est donc contre la volont� de ceux qui de l�int�rieur du FLN l�ont combattu. Apr�s son adoption, quelles ont �t� les suites et quels r�sultats ont �t� engrang�s ? D�abord la mise en �uvre du programme de relance des activit�s d�exploration et de production annonc� � l�APN ; sur toute l��tendue du territoire pour l�exploration et sur les principaux gisements pour la production. Des cahiers des charges mis en conformit� avec la nouvelle r�gle du jeu ont �t� �labor�s et communiqu�s � tous les partenaires potentiels. Des n�gociations ont �t� engag�es avec les nombreux partenaires, qui ont �t� nombreux � montrer leur int�r�t. Dans le domaine de l�exploration, les nouvelles zones d�limit�es furent mises en adjudication. Sous mon gouvernement, une vingtaine de permis d�exploration ont �t� accord�s. Parmi les premiers permis octroy�s figurent ceux qui sont situ�s dans le grand erg oriental. J�ai eu l�occasion de mentionner que c�est dans cette r�gion, tenue pour st�rile depuis des d�cennies, que Sonatrach y fit ses premi�res armes. C�est aussi dans cette r�gion que, deux ans apr�s la loi de 1991, fut confirm�e par une soci�t� am�ricaine l�importance des r�serves p�troli�res de la r�gion de Berkine, des r�serves consid�r�es comme �potentiellement majeures�. M. C. M.