Spécialiste des questions énergétiques et ancien conseiller et directeur de la stratégie au ministère de l'Energie et des Mines de 1996 à 2001, Ali Kefaifi aborde dans cet entretien, les aléas que peut charrier l'option prise récemment par les pouvoirs publics d'aller vers l'exploitation du gaz de schiste. -Que représente, aujourd'hui, l'exploitation du gaz de schiste dans le monde ? L'exploitation de gaz de schiste, fondée sur le forage horizontal accompagné de fracturation hydraulique, a été développée depuis trois décennies, avant une mise en œuvre industrielle depuis 8 années, essentiellement aux Etats-Unis (Texas, Louisiane puis Appalaches). Cependant, l'expérience des Etats-Unis montre que la courbe permet d'espérer arriver en 5 à 6 ans au niveau minimal de maîtrise. -Comment appréhendez-vous la récente décision des pouvoir publics d'aller vers l'exploitation du gaz de schiste ? Tous les problèmes rencontrés ailleurs pour l'exploitation du gaz de schiste se retrouvent en Algérie avec en plus d'autres contraintes objectives. Il s'agit de problèmes liés à l'absence d'industrie des services, l'éloignement des champs gaziers potentiels (noria de centaines ou de milliers de camions), le traitement de l'eau polluée par des centaines de produits chimiques (plus de 500), les gazoducs très coûteux et la rentabilité économique très incertaine. Aussi, la disponibilité de 4500 milliards de mètres cubes de réserves en gaz naturel conventionnel, soit 60 ans de consommation, autorise l'Algérie à retarder l'exploitation de ces gaz de schiste. -L'Algérie dispose de réserves importantes de gaz de schiste. N'est-il pas opportun de chercher à les exploiter pour compenser le recul des hydrocarbures conventionnels ? Contrairement à d'autres pays (Chine, Mexique, Pologne) qui ont vu les estimations des réserves baisser de 10 à 20% en 2011-2013, l'Algérie dispose de réserves en apparence confortables, environ 20 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste. Cependant, il s'agit de réserves techniquement récupérables, nonobstant l'aspect économique. Or, en considérant l'aspect économique, ces réserves économiquement récupérables pourraient être de l'ordre de 2000 à 4000 milliards de mètres cubes. Une analyse «coût-avantage» en univers aléatoire pourrait démontrer l'inanité d'exploiter le gaz de schiste avant 2025, pour un pays gazier comme l'Algérie. -Considérez-vous donc que les hydrocarbures non conventionnels soient un choix peu judicieux pour l'Algérie ? Le véritable eldorado algérien des champs de gaz de schiste, c'est l'uranium et le vanadium. Des travaux très récents dans le monde (voir l'étude du docteur Nacereddine Kazi Tani) ont permis de démontrer qu'il existe une forte corrélation entre d'une part les teneurs vanadium et uranium, et d'autre part le carbone organique total (la matrice du gaz de schiste), dans le Silurien et le Frasnien du Sahara. Elles sont de 100 ppm pour l'uranium et 2000 ppm de vanadium dans la roche mère. En considérant un taux de récupération techniquement exploitable de 10%, pour le gaz de schiste, l'estimation du Dr Nacereddine Kazi Tani en 2014 donne 80 milliards de tonnes de réserves pour le vanadium et 10 milliards de tonnes pour l'uranium. Certaines applications du vanadium sont le stockage d'électricité (batterie de voiture électrique, batterie pour le stockage de l'électricité solaire et éolienne, alliage, catalyse…). Celles de l'uranium sont connues dans le nucléaire. -Quelles actions préconisez-vous quant à la stratégie que comptent mettre en place les pouvoirs publics pour l'exploitation du gaz de schiste ? Il est recommandé en tout premier lieu de geler ce processus d'appel d'offres pour les gaz de schiste et de revoir la décision du Conseil des ministres, d'autant qu'il y a un risque potentiel de contentieux futurs, pour l'uranium avec les multinationales pétrolières. Il est préconisé, par ailleurs, de faire des études d'aide à la décision stratégique, de revoir la législation minière, mais aussi de lancer un projet d'institut minier pour l'étude du projet de vanadium et de l'uranium. Les valeurs du vanadium et de l'uranium sont considérables lorsqu'elles sont comparées à celle du gaz de schiste, d'autant plus que ce dernier ne sera probablement pas rentable. A souligner également que l'agence ARH (police environnementale) devrait dépendre du Premier ministère ou de la présidence de la République.